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Lois des dieux contre lois des hommes : dangereux débat à l’horizon

28/10/2020 | par Alexis Feertchak | dans Politique | 4 commentaires

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ANALYSE : Visant le séparatisme islamiste, le gouvernement note que les lois de la République sont plus fortes que celles des dieux. Mais est-ce vraiment juste ? Dans la mesure où l’on ne peut comparer que des choses comparables, cela ne revient-il pas à mettre sur le même plan le religieux et le politique ? Retrouvez un extrait de l’analyse d’Alexis Feertchak parue dans Le Figaro.


Diplômé de Sciences Po Paris et licencié en Philosophie de l’Université Paris-Sorbonne après un double cursus, Alexis Feertchak est journaliste au Figaro et rédacteur en chef du journal iPhilo, qu’il a fondé en 2012.


Le gouvernement a choisi à plusieurs reprises de souligner l’opposition entre deux sources possibles de la «loi» pour illustrer le danger du séparatisme islamiste à l’œuvre en France. «La loi de la République est plus forte que celle des dieux. Vient le moment de parachever ce travail pour les musulmans», a martelé Gérald Darmanin, le 4 octobre dernier. Une allusion à un sondage de l’IFOP paru en septembre. A la question «En général, faites-vous passer vos convictions religieuses avant les valeurs de la République?», 40% des musulmans ont répondu que «oui». Ce serait là le signe d’un inquiétant découplage entre une partie des musulmans et le projet républicain.

Lire aussi : La République exclut-elle l’islam ? (Jean-Michel Muglioni)

Or certains observateurs ont soulevé une objection. S’il faut choisir entre convictions religieuses et valeurs de la République, les catholiques pratiquants (41%) sont plus nombreux encore que les musulmans (40%) à faire primer les premières dans ce même sondage, ont-ils argumenté. C’est moins le cas des catholiques occasionnels (15%) et moins encore des catholiques non pratiquants (7%). L’ancien ambassadeur Gérard Araud a comparé ces résultats relatifs aux musulmans et aux catholiques sur Twitter, sans préciser que les deux ensembles ne se superposent pas (l’institut de sondage ne compare pas l’ensemble des musulmans à l’ensemble des catholiques, mais aux seuls pratiquants).

Mais l’essentiel est ailleurs: la question elle-même posée par l’IFOP revient à mettre sur le même plan le religieux et le politique dans la mesure où l’on ne peut comparer que des choses comparables. Plus de 350 ans après le Traité politico-théologique de Spinoza, en serions-nous revenus à un temps de confusion de ces deux ordres? Car, quand un islamiste déclare que la loi islamique est supérieure à la loi des hommes et que l’on répond que c’est l’inverse, on se place certes en contre, mais aussi sur le même plan que lui. Est-il pourtant besoin de préciser que les catholiques ne sont pas, pour moitié d’entre eux, de dangereux séparatistes qui voudraient renverser la République ?

Risque théocratique

En réalité, tout croyant est naturellement embêté face à une question qui l’oblige à décider d’une primauté entre le religieux et le politique. Pour beaucoup de catholiques, en leur for intérieur, la Bible a évidemment une importance beaucoup plus grande que le bloc de constitutionnalité qui, depuis son identification en 1971 par le Conseil constitutionnel, constitue le socle de notre Etat de droit et le sommet de la pyramide des normes juridiques.

La Bible, justement, ne se situe pas dans la géométrie pyramidale du droit, mais au sommet d’un autre édifice, religieux. Et, dans les tréfonds intérieurs de chaque croyant, ce sommet est, pour beaucoup, le premier fondement de leur vie. Cette réalité d’un ordre supérieur est fichée en leur conscience, dont la liberté est consacrée par le premier article de la loi de 1905. L’État ne peut et ne doit sonder les reins et les coeurs. Qu’il le fasse que nous tomberions aussitôt en régime théocratique. Cela représenterait une curieuse réponse politique alors que le défi, aujourd’hui, consiste précisément à éviter que ne prospèrent, au sein de parcelles du territoire national, des germes de théocratie islamiste.

L’oeuvre d’un grand anthropologue français, Louis Dumont (1911-1988), peut permettre d’éviter cette confusion entre les ordres religieux et politique (….)

Lire la suite sur le site du Figaro

 

Alexis Feertchak

Journaliste, Alexis Feertchak est chef de service au Figaro, chroniqueur pour le magazine Conflits et rédacteur en chef du journal iPhilo, qu'il a fondé en 2012. Diplômé de Sciences Po Paris et licencié en philosophie de l'Université Paris-Sorbonne après un double cursus, il a été pigiste pour Philosophie Magazine et a collaboré pour l'Institut Diderot, think tank de prospective. Suivre sur Twitter : @Feertchak

 

 

Commentaires

 » Tout croyant est naturellement embêté face à une question qui l’oblige à décider d’une primauté entre le religieux et le politique  » écrivez vous . Certes, mais pour le catholique adhèrer aux valeurs de la République et notamment le tryptique Libertė-Egalite-Fraternitė est sans problème : ce ne sont jamais que des vertus chrétiennes sécularisées ( Il faut vraiment être de mauvaise foi ou particulièrement ignorant pour s’imaginer que l’histoire de la France commence en 1789 ). Pour les adeptes d’une religion importée en France il y a seulement quelques décennies c’est forcément moins évident.

par Philippe Le Corroller - le 28 octobre, 2020


Cher Philippe, je suis 100% d’accord avec vous. C’est d’ailleurs ce que j’écris dans la suite de l’article réservé aux abonnés. C’est toute la difficulté avec l’islam. Il y a néanmoins pour les catholiques parfois des disjonctions. Un commandant de sous-marin nucléaire lanceur d’engins (et beaucoup sont cathos !) déploie une arme condamnée par Rome. Il y a aussi la question du mariage et de l’adoption homosexuels. Mais ces différences via le concept de hiérarchie peuvent cohabiter.

par Alexis Feertchak - le 28 octobre, 2020


Bien sûr Rome a aussi eu la tentation du « pouvoir » sur la conduite des hommes, et il a fallu y mettre un terme Républicain en décidant de la laïcité par la loi et la constitution. Nous ne pouvons plus depuis accepter un retour en arrière en faveur de cet abandon total à une nouvelle théocratie quoiqu’elle fusse. D’autant plus que l’Islam dit politique ( mais en existe-t-il un autre ? ) voudrait l’imposer par tous moyens y compris la violence physique , psychique et sociétale confondant interrogation transcendante avec soumission des corps et des esprits et en conséquence pouvoir politique théocratique très proche de ce que nous nommons dictature. En cela j’adhère à l’idée d’une religion incompatible et en confrontation avec notre civilisation « Occidentale « .

par Gérard de Marx - le 28 octobre, 2020


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