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Pourquoi parler de «sécurité globale» (et pourquoi ce n’est pas le cas)

16/12/2020 | par Michel Juffé | dans Politique | 5 commentaires

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ANALYSE : Il manque en France une véritable doctrine englobant toutes les dimensions de la sécurité, laquelle excède de beaucoup les missions du ministère de l’Intérieur, selon Michel Juffé. Et, pour le philosophe, ce n’est pas le projet de loi de sécurité globale qui apporte de solution. Dans une société qui doute, la première question à poser est la suivante : que signifie être en sécurité ?


Né en 1945, le philosophe Michel Juffé fut conseiller au sein du Conseil général de l’écologie et du développement durable (2003-2010) et a enseigné dans plusieurs grandes écoles et universités. Auteur d’une douzaine d’ouvrages, il a récemment publié Sigmund Freud – Benedictus de Spinoza, Correspondance, 1676-1938 (Gallimard, 2016), Café-Spinoza (Le Bord de l’eau, 2017), A la recherche d’une humanité durable (L’Harmattan, 2018) et dernièrementNietzsche lecteur de Heidegger (L’Elan, 2020).


Malgré l’enflure de son titre, le projet de loi sur la «sécurité globale» (octobre 2020) ne touche qu’une partie du code de sécurité intérieure, lequel traite de sécurité publique, de sécurité privée, de sécurité civile et de renseignement. 

La «sécurité globale» ne vise que la sécurité publique, sous ses aspects organisationnels. Car bien qu’il soit question, avec une liste disparate, des formes de l’insécurité, il est surtout question de «l’ensemble des acteurs de la sécurité et de la sûreté autour d’un continuum de sécurité». On compte 250.000 policiers et gendarmes nationaux, 21.500 policiers municipaux et 165.000 agents privés de sécurité (chiffres de la Cour des Comptes). Il est donc question de clarifier les rôles et les missions de ces acteurs, et de définir les termes d’un partenariat des «sécurités du quotidien». 

Des municipaux étroitement surveillés et voués à des tâches subalternes

La police municipale voit ses champs d’intervention renforcés, sous contrôle étroit des autorités de l’Etat. Grâce à quoi elle va pouvoir immobiliser des véhicules et saisir des objets ayant aidé à commettre des infractions. Mais attention, il faut les y former. J’épargne au lecteur les précautions inouïes prises pour que les agents municipaux puissent être habilités à exercer ces activités qui, apparemment, sont aussi difficiles à exercer que, par exemple, le déminage ou le pilotage d’un porte-avion. 

Bref, les polices municipales restent des acteurs mineurs de la sécurité et rien n’est dit sur leur rôle de « proximité », autrement dit de prévention de la délinquance, de médiation entre populations et institutions, et de relation aux personnes fragiles ou en difficulté, en complément de l’action des services sociaux. 

Une sécurité privée… de toute moralité

Les agents de sécurité privés voient leur rôle renforcé, tout en étant plus encadrés et évalués. Ils peuvent arrêter des personnes, avec l’accord des agents publics, et les remettre aux mains de ceux-ci. En cas de manquement à leurs règles de conduite, ils peuvent être épinglés sur le site du Conseil national des activités privées de sécurité́ [CNAPS].

La seule ville de Paris compte 748 sociétés de sécurité, 208 sociétés de systèmes de sécurité et 34 sociétés d’enquêtes. Quel contrôle pourrait-on exercer sur leurs activités et quelle vérification des qualités (techniques et morales) de leurs agents ? C’est ce que constatait la Cour des Comptes (rapport publié en février 2018) :  certains employés de sociétés de sécurité sont des délinquants ; la plupart n’ont aucune formation ; les cartes professionnelles sont délivrées sans contrôle véritable ; le CNAPS, un établissement public, est entre les mains des sociétés de sécurité privées.

On peut y ajouter l’article 25, peu commenté, qui autorise les agents de la police nationale et les gendarmes à porter leur arme hors service, dans un «établissement recevant du public». Augmentant ainsi les risques de violences policière, de bavure et de dérapage.

Une surveillance à sens unique

Le titre III, sur la vidéoprotection et la captation d’image détaille leur usage et qui est habilité à les utiliser. «Le public est informé par tout moyen approprié de la mise en œuvre de dispositifs aéroportés de captation d’images et de l’autorité́ responsable, sauf lorsque les circonstances l’interdisent ou que cette information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis.» (Art. L. 242-3). Autrement dit, le public est informé… si l’autorité publique y consent !

L’article 24 est devenu la vedette de ce projet de loi. Il dit : «Le paragraphe 3 du chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté́ de la presse est complété par un article 35 quinquies ainsi rédigé : ‘Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité́ physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police’». Cet article 35 s’inscrit dans une suite d’articles (29 à 35) qui répriment la diffamation et l’injure.

Lire aussi : Laïcité, autorité, sécurité et santé : le peuple dépossédé (Michel Juffé)

Or, porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique excède de loin la question de la diffamation. Dans le code pénal, il s’agit plutôt de meurtre, de viol, de torture, etc. Pour la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne : «Toute personne a droit à son intégrité physique et mentale» (art. 3, § 1). Le champ défini est celui de la dignité et l’article porte principalement sur les manipulations abusives du corps humain. 

Ainsi la question principale – masquée par toute une ébullition autour du «délit d’intention» – est celle de l’insertion de ce qui peut être un crime dans un texte sur la diffamation d’une loi concernant la liberté de la presse. C’est insensé, car cela assimile, subrepticement, le fait de filmer ou photographier un agent public à un crime plutôt grave (meurtre, usage illicite d’organes). Accessoirement, c’est un moyen de disqualifier la presse. 

Une loi superflue

Pour conclure cet examen rapide du projet de loi sur la «sécurité globale», on peut se demander ce qui est «global», alors que cette loi est faite de bribes et de morceaux, d’attributions aberrantes et ouvre la voie, malgré ses prétentions, à un moindre contrôle des activités de sécurité, et à une surprotection des agents de protection de la population. Le rôle des citoyens et celui des associations qui pourraient œuvrer en faveur d’une sécurité préventive (je vais parler plus loin de prévention) est ignoré. 

Cette loi est superflue, et entraîne des remous dont nous aurions pu nous passer. Elle-même est une atteinte à la sécurité, car elle ajoute de la confusion à la confusion.

Qu’est-ce qu’ «être en sécurité» ?

Si on parle de «sécurité globale» et de «continuum de sécurité», on suppose que cette vision globale existe, autrement dit qu’il existe un concept intégrateur des actions de sécurité. Que veut dire «être en sécurité» ? La sécurité est une dimension fondamentale de la vie humaine et de la vie tout court. Je vais, une fois de plus, citer Spinoza : «chaque chose, autant qu’il est en son pouvoir, désire persévérer dans son être». Persévérer dans son être, c’est ne pas disparaître, c’est aussi ne pas être diminué ou transformé de telle sorte que cet «être» soit altéré. Cela ne signifie pas rester identique à soi-même sans le moindre changement. Tout vivant se transforme et, à un degré élevé, l’être humain, par ses institutions, ses cultures, ses symboles. De ce fait, les actions de sécurité forment un ensemble très vaste, aux contours difficiles à définir, car l’appréciation de «désir de persévérer» varie avec ce qu’est la persévérance recherchée.

Que nous distinguions ou non le physique du psychique, la difficulté de cerner «ce à quoi nous tenons» est très grande. Par exemple, qu’est-ce que la conservation de l’intégrité physique ? On ne peut se contenter de dire que c’est garder le corps intact de toute blessure, car cela dépend de la manière dont on apprécie la perfection de son corps : la taille, le poids, la répartition des volumes, les capacités sensorielles, musculaires, la beauté, l’attrait sexuel, l’habileté manuelle, etc., entrent diversement en ligne de compte. Le corps n’est pas qu’un ensemble d’organes voués à des fonctions précises, mais quelque chose à quoi on accorde une valeur qu’on veut protéger. Alors, si on veut protéger le corps sous tous ces aspects, la sécurité devient un ensemble illimité.

Lire aussi : Les vrais amis de Spinoza (Michel Juffé)

C’est encore plus illimité si on parle d’intégrité psychique. Celle-ci ne s’arrête pas à des rapports entre individus, les uns risquant d’être victimes d’humiliations, séductions, coercitions et exercices de la terreur. La perte d’intégrité peut être très variable, selon les liens entretenus avec les proches, la vie sociale, professionnelle. L’immunité psychique est semblable à l’immunité physique : on est plus ou moins capable de faire face à diverses sortes d’adversités, de «résilience». On peut être résilient à une humiliation de type raciste et l’être peu à des allusions sexuelles. Nul besoin d’être un fervent adhérant à la psychanalyse pour comprendre que chacun de nous est fils d’une histoire où nos parents et ancêtres ont subi telle ou telle atteinte à leur intégrité et que cela marque, parfois pour longtemps.

Qu’est-ce que la sécurité publique ?

Le droit, depuis la Rome antique, distingue les personnes, les biens et les institutions. Le code de sécurité intérieure (2012) est plutôt précis et extensif : «L’État a le devoir d’assurer la sécurité en veillant, sur l’ensemble du territoire de la République, à la défense des institutions et des intérêts nationaux, au respect des lois, au maintien de la paix et de l’ordre publics, à la protection des personnes et des biens.» (Art. L. 111.1). D’autres codes contiennent des mesures de sécurité : urbanisme, environnement, route, défense, santé publique, travail, mutualité, éducation, etc. Par exemple, dans les objectifs du code de l’urbanisme figurent :  «4° La sécurité et la salubrité publiques ; 5° La prévention des risques naturels prévisibles, des risques miniers, des risques technologiques, des pollutions et des nuisances de toute nature» (art. L.101.2).

Le problème devient alors d’ordonner et, si possible, de hiérarchiser les actions à mener pour que les objectifs de sécurité publique soient atteints sans se contrarier les uns les autres.

Lire aussi : Le réveil du Léviathan (Eric Desmons) 

C’est ce qui correspond à une doctrine de sécurité. Or, cette doctrine varie selon les domaines (risques dits naturels, terrorisme, corruption, etc.) et le vocabulaire est lui-même varié selon ces domaines. Pour prendre un seul exemple la sûreté nucléaire est du même registre que de la sécurité industrielle et non de la sûreté au sens de la déclaration des droits de l’homme. Il manque, dans notre pays, une véritable doctrine de la sécurité publique, qui, d’une part donne une unité d’action aux diverses branches de la sécurité, d’autre part permette d’articuler entre elles les diverses phases de l’action publique. 

Je vais prendre une conception claire : la distinction entre prévention et réparation. Par exemple : les inondations (en temps «normal», 1er type de catastrophe au niveau mondial). Il existe des plans de prévention des inondations, qui visent : 1° à cartographier les zones de risque ; 2° à limiter ou interdire toute construction dans ces zones ; 3° à prendre des précautions pour limiter l’impact d’une inondation ; 4° à préparer les divers corps sociaux qui auront à intervenir en cas d’inondation, y compris les habitants. Sont également prévus les forces à mobiliser après l’inondation, les modes d’indemnisation et de reconstruction, etc. La prévention, bien faite, couvre toutes les phases de la mise en sécurité liées à une inondation. Ce schéma est applicable à tout type d’action de sécurité.

Lire aussi : Etat et liberté (Daniel Guillon-Legeay) 

Je ne m’attarderai pas à la question des personnels à spécialiser, former, employer, organiser, pour mettre en œuvre une doctrine de sécurité. Car toute proposition de réforme sur les personnels dépend des missions confiées aux services publics de sécurité. Par exemple, le «Beauvau de la sécurité» n’abordera pas la question des missions, même dans le cadre restreint de la police nationale, mais celui des conditions d’exercice du métier. Quelles que soient ces missions et leur évolution, on peut cependant douter qu’une formation initiale d’un an soit suffisante pour qualifier des gardiens de la paix. Celle des infirmiers est de 3 ans, des instituteurs de 2 ans (après une licence), des assistants sociaux de 3 ans : tous métiers de contact avec des personnes.

Si une conception intégratrice de la sécurité prévalait, il deviendrait plus aisé de définir les missions des services publics et de les hiérarchiser, de coordonner souplement les actions sectorielles des diverses administrations d’État, d’accroitre la compétence des collectivités territoriales (et pas seulement celle des polices municipales), et d’impliquer les citoyens dans les mesures de prévention des dangers en tout genre (au lieu de leur vendre des dispositifs d’auto-défense). Tout cela mériterait un débat public national, et sans doute européen.

 

Michel Juffé

Né en 1945, Michel Juffé est un philosophe français, intéressé aux questions d'éthique, de philosophie politique et d'écologie. Il fut conseiller du vice-président du conseil général de l'écologie et du développement durable (2003-2010) et a enseigné dans plusieurs grandes écoles et universités. Auteur d'une douzaine d'ouvrages, il a récemment publié Sigmund Freud – Benedictus de Spinoza, Correspondance, 1676-1938 (Gallimard, 2016), Café-Spinoza (Le Bord de l'eau, 2017), Liberté, égalité, fraternité... intégrité (L'Harmattan, 2018), A la recherche d'une humanité durable (L'Harmattan, 2018) et, dernièrement, Éclats d’un monde disparu (Élan des mots, 2020), Nietzsche lecteur de Heidegger (Élan des mots, 2021) et Vlad le destructeur (Élan des mots, 2022).

 

 

Commentaires

En lisant ce texte, ma première réaction a été de foncer sur mon Robert Historique de la Langue Française pour regarder le mot « doctrine »….
Et je n’ai pas été déçue.
« Nom féminin emprunté (v. 1165) au latin « doctrina », mot désignant l’enseignement, la formation théorique (par opposition à « natura », « la nature » et « usus » « la pratique »), l’éducation, et par métonymie la technique, la méthode ; en latin chrétien, il se spécialise en « enseignement reeligieux ». Le mot appartient au groupe de « docere » « enseigner ».
Le mot a désigné l’enseignement et, par une double métonymie, la chose que l’on apprend à qqn et l’ensemble des connaissances acquises (v. 1175). Ce sens, encore vivant au XVII siècle, a disparu au profit d' »ensemble de notions proposées comme fondement d’une RELIGION, d’UN SYSTEME PHILOSOPHIQUE (1190). Il s’applique spécialement à « doctrine chrétienne (1680), nom donné à la congrégation chargée de catéchiser le peuple. Depuis 1840, « doctrine » est employé spécialement en DROIT à propos de l’ensemble des travaux destinés à exposer le droit (par opposition à « loi », « législation », et à « jurisprudence ».  » Fin de citation.
S’il y a bien quelque chose qui se dégage de cette.. comparaison entre « doctrine/philosophie/religion/droit/loi/législation/jurisprudence », c’est la manière dont la doctrine est solidaire de l’enseignement de connaissances même de… CATECHISME DES CONNAISSANCES, de quelque nature que soient ces connaissances…
On se souviendra que les docteurs de la loi ont toujours été avec nous, que ce soit du côté des magistrats romains, des docteurs de la loi.. juive, et que la fonction des docteurs de la loi a toujours été de nous ENSEIGNER voire.. catéchiser.
Pour notre « bien », ou.. pour notre sécurité.
Ceci est relativement inévitable dans la mesure où l’Homme est habité d’un besoin fondamental de transmettre ses connaissances aux

par Debra - le 16 décembre, 2020


Mes excuses pour avoir tapé sur la mauvaise touche au mauvais moment…
et je poursuis :
transmettre ses connaissances aux autres, et surtout des personnes en position de prendre la relève.

En lisant l’apport de Spinoza, je suis frappée par la concordance entre le but de « persévérer dans son être », et le projet cartésien de « conserver la santé ». Ces deux projets sont conservateurs. Le projet cartésien réussit ce tour de passe passe d’atteler la maîtrise de la nature, une toute puissance garantie par la maîtrise scientifique du monde, à… la conservation de la santé par l’intermédiaire de la médecine, une… sécurité illimitée.
Pourtant, une obscure force en moi me fait penser (mais… suis-je la seule à penser ainsi ?…) qu’une… doctrine… sécuritaire passe à côté de sa visée dans le simple fait de viser, et d’orienter toute son énergie dans une activité défensive.
Comme si… les différents systèmes logiques ? rationnels ? pour rendre compte du monde trébuchent sur l’évidence qu’une personne ? une société ? une civilisation ? qui parle autant de défense, et de sécurité, se considère DEJA comme vaincue quelque part, ou ayant subi une perte irrémédiable. N’est-ce pas.. égo-centrique ?
Or, si on se défend, c’est parce qu’on SE SENT attaqué, et contrairement à une certaine logique, peut-être, celui qui se met en position de se défendre dispose de MOINS D’ENERGIE que celui qui attaque.
Ce qui est remarquable, c’est cette polarité abyssale entre une maîtrise et une toute puissance écrasante, déployée pour la sécurité, et, dans l’ombre, le sentiment d’impuissance, de petitesse abjecte très loin de la dignité (pour moi) qui revient à l’individu dans ce système. L’Homme a une maîtrise quasi illimitée, mais l’homme… est ravalé à un petit être revendicateur, peureux, une victime en puissance à tout moment, qui subit pourtant de continuelles harangues pour le sommer d’être autonome et indépendant afin d’être libre.

« L’état a le devoir d’assurer la sécurité en veillant à la défense des institutions et des intérêts NATIONAUX, au respect des lois, au maintien de la paix et de l’ordre PUBLICS. »

Le mot sur lequel je trébuche est le mot « nationaux » dans le contexte actuel. Dans quelle mesure la France reste-t-elle une nation maintenant ?
Qu’est-ce que ça veut dire de recourir au mot « national » dans un contexte où Internet a prodigieusement chamboulé la possibilité des individus de se sentir appartenir à.. une nation, et partager une identité nationale ? (En se souvenant aussi que dans le mot « natio », il y a une racine qui renvoie à l’idée d’être… né, et être né DE, c’est, d’une certaine manière… ne pas être indépendant et autonome.)

Cela fait longtemps maintenant que nous assistons au démantèlement du service public, suite à l’abandon de l’idéal d’une MISSION de service public. Parmi les raisons qui rendent compte de ce démantèlement, il y a le poids du « seruire » latin qui renvoie à l’esclavage. Il faut avoir une très forte mission de servir, un très fort idéal en soi, en plus du prestige social, ou du salaire, déjà, pour échapper à la hantise de l’esclavage, si dégradant dans les têtes. Une société qui dénigre le service, et se révolte contre, ne peut pas avoir un service public qui tient la route. L’Eglise Catholique Romaine a grandement oeuvré pour valoriser la mission de SERVICE public, et la République a hérité d’un terrain favorable pour fonder son… service public. Mais les attaques contre la Grande Romaine à la longue finissent par affaiblir.. la République qui s’appuie contre son idéal, et a hérité de ses missions. Ça s’appelle dans le parler populaire « scier la branche sur laquelle on est assis »…
La mission de « service public » est opposée à la… doctrine ? que chaque individu doit oeuvrer pour son propre intérêt (privé) afin d’être autonome. Dit de cette manière là, ça apparaît comme… un commandement, mais en fait, c’est plus subtil encore. Maintenant il devient difficilement concevable que l’individu oeuvre pour AUTRE CHOSE que son propre intérêt. (Serait-ce, en partie, la corruption de l’idéal spinozien à l’oeuvre, là ?) Scientifiquement prouvé…passé dans le domaine du descriptif, et non plus du prescriptif.
On peut demander ce qui permet de FAIRE SOCIETE dans un contexte où l’intérêt de l’individu privé devient souverain. Faire société, c’est une chose, mais faire masse, c’en est une autre.
Je maintiens que la société, la civilisation dénigrent le service AVANT que le service public soit démantelé. Les idées…les mots… sont nos maîtres. Et dans ces domaines nous perdons… parce que nous sommes déjà VAINCUS à nos propres yeux. Quelle dignité pour les personnes qui sont vaincues de cette manière ?

Je peux comprendre l’enthousiasme de M Ruffé pour le projet d’encore UNIFIER (totaliser..) les démarches censées REGIR nos vies de pauvres citoyens, mais je ne le partage pas.
Devant tant d’engouement pour totaliser en ce moment, je cherche à garder la tête hors de l’eau comme je peux.

En écrivant ceci, en lisant M Ruffé, je suis attristée de sentir à quel point la langue qui sort sous mes doigts (et les siens) est… terriblement pauvre. Une véritable épure d’abstraction, de concepts précédés d’articles définis, avec peu de verbes vivants (en marche depuis le 18ème siècle, ce n’est pas nouveau).
Si je lisais.. la langue de Rousseau, ce ne serait pas le cas.
On peut me répondre que le domaine du droit se doit de prendre cette forme, certes, mais.. dans ce cas, il est triste que ce domaine ait tant envahi notre quotidien.
Au secours… de l’air !!
Et c’est le moment de rappeler à quel point le latin (avec du grec enchassé, bien entendu…) a toujours été la langue SAVANTE, une langue impériale qui FAIT EMPIRE. De langue savante, il est passé depuis longtemps à langue… scientifique…Il demeure langue scientifique, d’ailleurs, et bien vivant dans les langues modernes (cf. « complotisme/présentiel », etc.) Historiquement, les personnes maniant le latin se sont senti investies de la mission ? d’enseigner.. le peuple, et enseigner (quand c’est fait par les docteurs, en tout cas) est un acte de pouvoir qui tend à faire sortir du lot (élire/élite) des personnes dotées d’une certaine autorité. J’appelle ces constats des faits. Notre désir que le monde soit autre ne les changera pas.
En ce moment où les batailles internationales autour de l’autorité et la légitimité font rage, je regarde… ce que devient le latin.
Fin de sermon…

par Debra - le 16 décembre, 2020


Ainsi on risquerait  » une surprotection des agents de protection de la population  » ? Ma foi, protéger nos forces de l’ordre de ceux qui confondent manifestation et émeute me paraît un risque à courir et j’apprécie que l’actuel ministre de l’Intérieur le prenne. Étant assez plouc pour prendre le réel au sérieux, il me semble que doter l’ensemble des forces de l’ordre de caméras en état de marche, permettant notamment de voir qui agresse qui , fera plus pour la  » sécurité globale  » que de savantes gloses. Par ailleurs, chacun devant , à son niveau, apporter sa pierre à l’édifice, permettez-moi une suggestion. Il me semble que les professeurs de philosophie enseignant en Terminale devraient amener leurs élèves à réfléchir sur le concept de  » désobéissance civile  » . Il recouvre parfois le meilleur : tous ces  » Justes  » qui , pendant la seconde Guerre mondiale, sauvèrent des Juifs parce que c’était simplement une évidence pour eux. Mais il recouvre le plus souvent le pire : la tyrannie d’une minorité, incapable d’accepter les lois de la démocratie et qui les combat avec des méthodes relevant du fas isme . Notamment…le cocktail Molotov contre les forces de l’ordre ! Peut-être faire prendre conscience à ces bouillants jeunes gens ce que leur démarche a d’inacceptable pour une démocratie aiderait-il beaucoup à diminuer la tension de notre société.

par Philippe le Corroller - le 17 décembre, 2020


[…] Pourquoi parler de sécurité globale (et pourquoi ce n’est pas le cas) (Michel Juffé) […]

par iPhilo » L’Edito : «Il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites» - le 11 janvier, 2021



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