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Le temps, cette confortable prison

12/03/2021 | par Alban Alloix | dans Art & Société | 4 commentaires

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ANALYSE : Passé perdu, présent fugace, futur inconnu… Le temps nous échappe-t-il ? Alban Alloix, doctorant à Grenoble, nous offre une histoire ou plutôt un voyage dans le (concept du) temps puisqu’il nous propose de l’envisager comme le font les philosophies orientales, c’est-à-dire comme un présent permanent. Derrière cette conception, un mot mystérieux – Samadhi – que l’on pourra rapprocher de l’Épochè des Anciens.


Doctorant en Philosophie à l’Université de Grenoble, Alban Alloix prépare une thèse sur «le problème du Mal chez Philon d’Alexandrie». Il étudie tout particulièrement la philosophie antique et l’histoire des religions, et a animé des ateliers dans des collèges et des lycées sur la question de la laïcité.


Le temps semble être, pour une grande partie de l’humanité, un bourreau impitoyable, qui donne et reprend selon ses envies. Chaque jour nous vieillissons, chaque jour nous alourdit un peu plus et nous conduit inexorablement vers une mort certaine. Si nous réfléchissons, c’est même la seule certitude que nous avons : nous mourrons tous un jour et le temps ressemble ainsi à une pente glissante que nous ne pouvons remonter. Malgré les artifices employés pour masquer son empreinte sur nos visages, le plus profond de nos corps le ressent intensément. Plus il passe, plus il est mordant. Ce constat pourrait nous donner quelques angoisses. Pourtant, laissons-nous transporter au grès de ces lignes afin de découvrir ensemble ce qu’est ce temps qui régit notre existence et, finalement, ce qu’est l’existence elle-même. Nous verrons bien, au terme de cette réflexion, si le temps agit sur nous comme un fouet déchirant nous contraignant sans cesse à avancer contre notre volonté. Plus encore, s’il est un ennemi que nous devons fuir ou si, au contraire, il peut être le plus tendre des alliés.

Mémoire et attente

Pour Augustin d’Hippone, le temps est unique et non triple comme nous avons tendance à le penser et nous le représenter. Il n’y a donc pas un temps passé, un temps présent ou un temps futur. Ce qu’il défend plutôt dans ses Confessions, c’est que le temps est unique mais a un triple mode d’expression. Ce temps unique n’est jamais que le présent qui s’exprime soit au passé, soit au présent – ce qui semble tautologique -, soit au futur. Bien sûr, le saint évêque fait ici largement référence au dogme chrétien, d’un Dieu unique ayant trois modes d’existences, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Toutefois, la thèse avancée par le Père de l’Église mérite que l’on s’y attarde quelques instants au-delà d’une simple considération théologique. Le premier mode d’expression du présent, qu’il appelle «présent du passé», est désigné comme étant la mémoire. De toute évidence, le passé n’a pas de sens puisqu’il désigne, par définition, une action terminée. De cette action en elle-même, il ne reste rien, si ce n’est ses conséquences, qui ne sont jamais l’action en soi, et son souvenir. La seule façon qu’a le passé de se réactualiser dans le présent est donc par le biais d’une opération cognitive qui consiste à faire ressurgir dans l’esprit cette action déjà effectuée.

Autrement dit, il n’a d’existence que dans l’esprit. L’on s’attend évidemment qu’il en soit de même pour le futur qu’Augustin nomme «présent de l’avenir» et qui se comprend comme une attente. Comme pour le passé tout se passe dans un esprit qui anticipe, prévoit, espère et se projette sans cesse dans ce qui pourrait arriver mais n’est pas encore réalisé. Le futur est bien souvent un éventail de possibilités entre ce qui est souhaité, fantasmé et ce que l’on souhaiterait éviter. Entre ces deux polarités, l’on peut sans doute trouver encore d’autres façons d’être dans l’attente. Enfin, le présent est quant à lui défini comme «présent du présent», il est c’est ce qui est actuel. Le temps est en somme la déclinaison d’un présent qui a pour conséquence de le tirailler dans une triple identité le privant de son instantanéité. C’est à dire que le passé et le futur n’ont de réelle existence que dans le présent intellectuel de celui qui pense. Mémoire et attente se côtoient dans l’actualité de l’esprit. Mais alors, comment la conscience peut-elle réellement être présente à ce qu’elle fait, comment peut-elle être toujours actuelle si elle se trouve constamment noyée dans ces remous du temps ?

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Ce tiraillement est en réalité source de bien des maux puisque, là où se confrontent et se rencontrent passé et futur, il ne reste que peu de place pour le présent. L’erreur d’Augustin est de croire que passé et futur ne peuvent se conjuguer qu’au présent puisque celui qui se souvient ou anticipe le lendemain le fait dans son instantanéité. Bien au contraire, celui qui procède ainsi voit son esprit s’attacher soit à ce qui n’est plus soit à ce qui n’est pas encore. En d’autres termes, il sort de son présent, de son actualité et par conséquent de sa vie pour tenter de revivre ce qu’il a déjà vécu, ou fantasmer ce qu’il vivra peut-être demain, après-demain, etc., sans la moindre certitude, c’est bien pour cela qu’il s’agit d’un fantasme. Dans les deux cas, l’action de l’esprit est fictive et n’a donc pas sa place dans le monde phénoménal – au sens strict du terme grec phaenomenon : ce qui apparaît. Ce malheur, donc, que nous évoquions plus haut, n’est autre que le fait de passer à côté de soi et de ce qui advient ici et maintenant.

Mémoire et anticipation

Dans le Mythe de Sisyphe, Albert Camus établit que le présent est une absurdité monumentale puisqu’il est une répétition d’actions cernée par l’habitude. Je fais ainsi aujourd’hui comme je l’ai fait hier et comme je le ferai demain. Ce qui est pour lui l’origine même de la fuite dans le passé, tristesse de la patrie perdue, ou dans le futur, l’espoir d’une vie meilleure. Une telle attitude est dangereuse d’une part parce que sous l’aspect confortable de vivre une douce fiction, la douleur que semble provoquer la réalité en est accentuée. Comme celui qui se droguerait pour oublier sa réalité. L’état de conscience altéré dans lequel la substance le transpose ne dure pas assez longtemps pour le rendre réellement heureux, tout du moins il a une sensation de plaisir immédiat et non permanent. D’autre part, parce que l’illusion nous prive de liberté. Cela ne semble pas être un drame pour celui qui n’a pas conscience de cette mauvaise pièce à ciel ouvert dans laquelle il est l’acteur principal, mais devient source d’affolement pour celui qui ouvre les yeux et ne sait comment en sortir. Deux nouvelles notions viennent alors à notre connaissance : mémoire et anticipation, qui sont des illusions puisqu’elles n’ont pas d’existence phénoménale, ici et maintenant. Ensuite, cette illusion agissant comme une drogue conduit celui qui y est addict à toujours plus s’enfoncer en elle dans une recherche effrénée de plaisir. Ce plaisir est bien sûr la seule raison pour laquelle nous préférons regretter ce que nous avions hier, ou espérer en ce que nous aurons peut-être demain.

Mais, encore une fois, tout ceci ne se fonde sur rien de concret. Comme celui qui dépenserait constamment des sommes importantes en se disant que dans quelques jours le trou de son compte en banque sera comblé par une nouvelle entrée. C’est dépenser de l’argent que l’on n’a pas avec la seule supposition qu’on l’aura bientôt. Pour faire écho à la pensée de David Hume, la seule certitude que nous en avons n’est pas fondée en raison mais sur l’habitude qui peut être chamboulée. Le philosophe prenait pour sa part l’exemple du soleil. Comment savons-nous qu’il se lèvera demain ? Par la seule habitude. Imaginons que les lois de la physique changent subitement, que le soleil meurt comme cela arrivera sans doute un jour et tant d’autres suppositions, rien ne garanti alors la stabilité de ce que nous prévoyons pour demain. L’époque pandémique que nous vivons nous a rappelé cette dure réalité. Nous étions assis sur nos acquis, notre confort, nos richesses, nos certitudes, prévoyant déjà nos prochaines vacances, nos projets professionnels et tout s’est écroulé le jour où nous avons compris que demain ne serait pas comme il a toujours été pour nous.

Alors, aujourd’hui, nous fuyons l’incertitude et l’angoisse dans le souvenir d’avant la crise ou dans l’espoir de ce que sera le monde d’après. Nous nous mettons même à rêver que le monde change et nous attendons passivement que cela se fasse. Pourquoi passivement ? Parce qu’espérer que demain soit mieux est une bonne raison pour ne pas agir aujourd’hui. J’agirai quand telle ou telle chose aura changée ou sera meilleure. Voilà bien une chose que nous nous disons tous presque quotidiennement.

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Or, comment demain serait-il mieux sans une action maintenant ? En ce sens, le temps semble être une prison, tout du moins il l’est seulement pour l’individu qui ne s’est pas libéré d’une telle conception. Il faut bien comprendre que le temps n’a aucune responsabilité à endosser dans la construction de nos prisons mentales puisqu’il peut être seulement de deux façons : il est objectif ou subjectif. Pour ce qui est du temps objectif, il est simple à comprendre ou à expliquer comme la succession d’événements, de phénomènes, d’actions et de leurs conséquences. Nous l’appelons objectif parce que c’est le comportement du temps en dehors de toute subjectivité et parce qu’il est objet d’étude et de mesure. Le temps subjectif se comprend comme la façon dont il est perçu par un sujet pensant. Mais là encore nous pouvons distinguer deux formes d’existence : le temps subjectif ressenti, qui n’est pas le même pour tous, une heure peut sembler deux minutes pour l’un et une éternité pour l’autre, et le temps social, qui détermine nos journées en établissant à quel moment nous devons dormir, manger, travailler, nous détendre au détriment de ce que peuvent ressentir nos corps et qui les forces à avancer dans le sens de la masse. Nous voyons d’ailleurs bien avec les confinements que, lorsque ces habitudes sont chamboulées, nous perdons aussi nos repères. Nous constatons là un double déterminisme qui nous contraint à agir en fonction de la société dans laquelle nous sommes et à ressentir le temps dans le clivage du plaisir et du déplaisir. Nous aimerions donc que la peine ne dure qu’un instant et que le bonheur soit permanent mais sous le seul paradigme de ce que nous croyons être le plaisir. Nous le cherchons alors par tous les moyens, avec un désir toujours croissant et, finalement, perdons notre temps.

Épochè et Samadhi : les voies de la libération

Se libérer ne consiste donc pas à échapper au temps et encore moins à ses implications physiques. Dans ce second cas, nous ne faisons que soigner la vitrine en délaissant complètement la boutique. Paraître dix ans de moins n’a jamais empêché de vieillir. Alors que faut-il faire ? Oublier notre passé et désespérer de l’avenir ? La tentation est grande mais ce serait tomber dans une forme de nihilisme passif que Nietzsche critiquait déjà dans le Gai Savoir. Le secret se trouve donc ailleurs. Il s’agit non pas de se libérer du temps lui-même, nous ne le pouvons pas, mais de s’émanciper du déterminisme qui plane sur nous. C’est le projet qu’établit Jiddu Krishnamurti avec son œuvre Se libérer du connu, dans laquelle il avance l’idée qu’il faut déjà revenir à la vie consciente. Cette conscience qui est attention à soi et aux phénomènes interagissant avec le soi ne peut ainsi se réaliser ni dans le passé qui est fini, ni dans le futur qui n’est pas encore et, bien sûr, ni dans un présent déterminé par eux. L’idée est de cesser de fuir dans le divertissement, au sens pascalien du terme, ou dans tout autre action qui nous éloigne du soi. Ce soi n’est jamais compris dans l’individualité exigeante et égoïque qui cherche constamment son contentement puisque, là encore, chercher ce contentement c’est toujours être tendu vers l’avenir dans lequel nous espérons ce plaisir et nous agissons aujourd’hui, en vue de demain. Cette attitude doit donc être abolie. Puisqu’il n’y a de temps que chronologique et que le reste est illusion, et comme il n’a de sens que dans le monde phénoménal, autrement dit, dans l’espace, alors l’émancipation doit être une conscience attentive à ce qu’il se passe ici et maintenant.

C’est d’ailleurs là tout un champ de la pensée orientale, que ce soit le Bouddhisme, le Taoïsme ou l’Hindouisme, que l’on retrouve sous le terme de Samadhi. Il serait bien ambitieux de tenter de répondre en quelques lignes à ce qu’est Samadhi, il semble que même avec des livres volumineux cela soit impossible tant son domaine sémantique est vaste. Nous le traduisons néanmoins par union, accomplissement, achèvement, ordre. Nous retiendrons ici l’idée d’union, mais union avec quoi ? Nos esprits, pour comprendre une chose, doivent la séquencer, la diviser en parties distinctes. Nous finissons donc par croire que ces morceaux sont des entités indépendantes comme le serait le passé vis à vis du présent ou du futur.

Il s’agit donc de réaliser un travail, non pas intellectuel, puisque ce serait user de la pensée divisant les espèces, mais mental, de cessation de tout jugement. C’est ce que les grecs et le phénoménologue allemand du XXe siècle Edmund Husserl ont appelé épochè (ἐποχέ), et qui signifie que, pendant un instant, l’esprit cesse de vouloir saisir les phénomènes par le biais de ses concepts. Finalement, les concepts sont exactement ce que nous avons désigné par déterminisme. Ils sont ces catégories intellectuelles par lesquelles nous essayons d’appréhender le monde en l’enfermant dans des cases. Par exemple lorsque je dis que je vois un arbre, le jugement que je porte n’est pas libre, il est déjà déterminé parce que cette chose que je désigne sous le nom d’arbre, je ne le fais pas spontanément mais parce que l’on m’a appris qu’une chose qui a ce que l’on appelle un tronc, des feuilles, des branches, des racines est un arbre. Et chacun des attributs qui font que cette chose est appelée arbre peuvent être analysés selon la même logique. Dès lors que je dis ceci est un arbre, je ne vois plus l’arbre mais la série de concepts par lesquels je peux définir ce que je vois. Pratiquer l’épochè, c’est donc cesser de voir le monde à travers le déterminisme de nos concepts, suspendre l’idée de l’existence spatio-temporelle du monde avancée par la science. La finalité de cette démarche est de laisser le monde être dans son essence, librement, sans l’emprisonnement de la pensée. C’est le laisser apparaître tel qu’il est en tant que phénomène. Ce n’est plus alors ma subjectivité qui va vers la chose mais la chose qui se donne à moi.

Lire aussi : Positivisme et temps (Bruno Jarrosson)

Mais l’épochè, au sens phénoménologique du terme, n’est qu’une étape ou une partie de Samadhi. Cesser tout jugement est donc un premier pas vers l’unification de l’esprit qui ne cherche plus à ce que les choses soient comme il les pense, mais à penser le monde tel qu’il est. Finalement, c’est déjà arrêter de se penser soi comme sujet et le reste comme objet observable. Tout ne devient qu’une seule entité, il n’y a plus de moi et d’autrui mais un nous. Suspendre le jugement c’est aussi cesser de différencier microcosme et macrocosme, petit et grand, long et large, temps et espace puisque tout se passe dans l’instantanéité du ici et maintenant. La conscience libérée de ses déterminismes sociaux-culturels cesse donc de se différencier des autres sociétés et cultures. Krishnamurti disait à ce propos que :

«lorsque vous vous dites Indien, Musulman, Chrétien, Européen, ou autre chose, vous êtes violents. Savez-vous pourquoi ? C’est parce que vous vous séparez du reste de l’humanité» [1]

L’épochè est donc un moyen d’aller vers la cessation de la violence et de la souffrance causées par la séparation. Dans la même logique il n’y a plus de passé regretté ou d’avenir espéré mais un aujourd’hui permanent. Samadhi, ou l’union harmonieuse, ne peut advenir que dans cette attention qui n’est pas concentration, ni divagation de l’esprit, qui n’est pas action ni passivité, mais qui se trouve toujours entre toute chose et son contraire à l’instar du Taoïsme qui enseigne la voie de la non-action. L’on se rend donc bien compte que la libération de nos nombreuses illusions et des souffrances qu’elles entraînent ne peut se faire que dans un présent permanent. Le temps n’est donc ni un ennemi ni un allié, ce qui reviendrait encore à séquencer les choses, à les diviser. Le temps est, tout simplement – ni plus ni moins, et en union avec l’espace. Ils ne peuvent être l’un sans l’autre puisque tout phénomène ne peut se donner que dans une temporalité et une spatialité. Autrement dit son existence ne peut être qu’ici et maintenant. Enfin, se libérer du temps chronologique serait une entreprise bien vaine et serait perdre sa vie en tentant d’échapper à ce que l’on ne peut éviter. Il vaut mieux tenter d’échapper à ce qui est à notre portée. Reconnaître cela, c’est déjà agir humblement et en notre qualité d’humain ne cherchant pas à être autre que ce que qu’il est. Ce de quoi nous sommes donc en mesure de nous libérer, c’est de notre propre construction intellectuelle, de notre façon de concevoir le monde et l’existence. C’est seulement alors que nous pouvons espérer sortir du cycle de tourments et de souffrances dans lequel nous sommes emprisonnés par nos tiraillements intérieurs.

Nous avons peur de la mort parce que nous la percevons comme la finalité de l’existence et le temps, parce qu’il nous conduit vers elle sans que nous le voulions. Mais la peur que nous ressentons est la peur de ne plus exister tel que nous avons l’impression d’être, tel que nous nous pensons nous-mêmes. Ce qui suppose que nous mettons en relation l’idée que nous nous faisons de la mort et l’idée que nous nous faisons de notre subjectivité. Si nous partons du principe que nous ne savons pas qui nous sommes réellement puisque nous nous comprenons à travers des concepts déterminés et donc illusoires, il se trouve alors que l’une des variantes de l’équation est biaisée ce qui ne peut que fausser aussi le résultat final. Par ailleurs, cela implique aussi que la représentation mentale que nous avons de la mort, ne s’appuyant sur rien de précis si ce n’est des suppositions et des croyances, nous n’avons pas à nous préoccuper du futur. Il s’agit donc d’apprendre à vivre dans un présent toujours permanent et réactualisé.

Lire aussi : L’horloge et le temps : les temps de Michel Serres (Olivier Joachim)

[1] Jiddu Krishnamurti, Se libérer du connu, Éd. LGF, Paris, 2019, p.52.

 

Alban Alloix

Alban Alloix a suivi des études de philosophie à Grenoble, et est actuellement doctorant («Le problème du Mal chez Philon d’Alexandrie»). Il étudie tout particulièrement la philosophie antique et l’histoire des religions, et a animé des ateliers en collège et lycée sur les questions liées à la laïcité.

 

 

Commentaires

Le rapport au temps est peut-être ce qui distingue le mieux le conservateur du progressiste .
Le conservateur savoure un présent qu’il considère comme un aboutissement du passé . Il se sent l’héritier de plusieurs millénaires de civilisation , qui ont forgé les valeurs , les institutions et jusqu’à l’art de vivre du monde dans lequel il a eu la chance de naître . Il se sent donc une dette à l’égard de celui-ci , qu’il va tenter de protéger . Contrairement à l’opinion générale , il me semble d’ailleurs que l’écologiste authentique est un conservateur dans l’âme !
Le progressiste , pour sa part, est souvent mécontent du présent et vit dans l’espoir d’un futur qu’il imagine forcément meilleur . Il se sent volontiers révolutionnaire , là où le conservateur se pense plutôt réformiste .
Bien sûr , ces deux façons d’envisager le temps comportent des dangers . S’il se laisse aller à la paresse intellectuelle, le conservateur risque de sombrer dans un  » C’était mieux avant  » sans nuances . Quant au progressiste , porté à l’utopie , il peut , c’est plus grave , virer sectaire , voire carrément fanatique . Par bonheur , beaucoup d’entre nous – mais pas tous ! – sont à la fois conservateurs et progressistes . Mais dans quelles proportions : deux-tiers conservateur et un tiers progressiste ; moitié-moitié ; ou deux-tiers progressiste et un tiers conservateur ? Vaste question …qui permet de mieux comprendre pourquoi la politique est un art difficile !

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