Se faire vacciner ou non : un droit, un devoir, une responsabilité ?
BILLET : Les propos d’Emmanuel Macron qui veut «emmerder» les Français non vaccinés n’en finit pas de choquer. D’aucuns estiment qu’il a seulement eu tort sur la forme, mais qu’il a raison sur le fond, quand d’autres considèrent que cette sentence révèle une dérive liberticide plus substantielle. Qu’en penser ? La philosophe Laurence Hansen-Löve a convoqué Emmanuel Kant, Vladimir Jankélévitch et Jean-Paul Sartre.
Professeur agrégée de philosophie, Laurence Hansen-Löve a enseigné en terminale, en classes préparatoires littéraires et à Sciences Po Paris. Aujourd’hui professeur à l’Ipesup, auteur de plusieurs essais et de manuels de philosophie, elle a récemment publié Oublier le bien, nommer le Mal (éd. Belin, 2017), Simplement humains (éd. de l’Aube, 2019) et dernièrement La violence. Faut-il désespérer de l’humanité ? (éd. du Retour, 2020). Nous vous conseillons son blog.
En tant que concept juridique, la notion de «droit de l’homme» renvoie à une doctrine universaliste qui est – globalement – validée par des textes internationaux. Cette doctrine procède de conceptions philosophiques héritées de diverses traditions, dont celle des Lumières.
Par ailleurs, pour la plupart d’entre nous, dans les sociétés dites «républicaines», tous les êtres humains ont des droits en tant qu’êtres humains et ces droits leurs sont garantis dans les textes constitutionnels («Tout homme a des droits, y compris contre l’Etat, que l’Etat lui assure»). Cependant cette conception des droits de l’homme, propre aux Etats dits «de droit», ne peut être totalement dissociée d’une certaine morale, d’une certaine conception morale de l’homme («Ceux qui voudront séparer la politique et la morale n’entendront jamais rien à aucune des deux», ainsi que le soulignait explicitement Jean-Jacques Rousseau).
C’est ici que les choses se compliquent. Dans une conception utilitariste, héritée pour l’essentiel des philosophies anglo-saxonnes, il est dans l’intérêt de tous, ou tout au moins, à défaut de tous, du plus grand nombre que chacun d’entre nous ait des droits, ceux-ci étant corrélatifs de devoirs (réciprocité des droits et des devoirs). De ce point de vue, qui est aussi, en général, celui du sens commun, je n’ai de droits (au sens juridique de ce terme) que parce que les autres ont des devoirs et les autres n’ont de droits que parce que j’ai des devoirs à leur égard. C’est logique. Dans ces conditions, et suivant une telle logique, si les autres ne respectent pas mes droits, je n’ai plus à respecter les leurs. Benjamin Constant disait par exemple que je peux mentir à un criminel, car celui-ci n’a plus «droit» à la vérité.
Aujourd’hui on pourrait dire que j’ai le droit d’être soigné si je suis malade. Mais on pourrait ajouter que réciproquement les autres ont le devoir de ne pas faire obstacle à mon droit d’être soigné – notamment en refusant délibérément certaines mesures contraignantes visant notoirement à désengorger les services d’urgence des hôpitaux. Cela va de soi… Mais la logique de cette logique peut conduire certains à dire : ceux qui, en toute connaissance de cause, ont choisi de ne pas être vaccinés n’ont pas à exiger d’être soignés gratuitement et ils doivent l’assumer.
Personnellement je désapprouve cette logique, parce que je pense qu’elle repose sur une conception discutable et du droit et de la morale. Discutable en ce sens que toute théorie morale est contestable. Discutable aussi en ce sens qu’elle tend à relativiser les droits de chacun – qui ne sont plus dans ce cas ni sacrés, ni indérogeables. Il en est une autre, et qui est très différente. C’est celle qui consiste à affirmer que tout être humain a des droits en tant qu’être humain, même s’il ne fait pas son devoir ou même s’il ne respecte pas la loi (par exemple le criminel a droit à un avocat, le chauffard, le skieur imprudent, en cas d’accident, seront pris en charge aux urgences etc..) .
Le droit que j’ai ici en tête pourrait donc reposer sur une conception non utilitariste de la morale. De ce point de vue, nous dirions que nous avons des droits qui reposent non pas sur l’idée rationnelle – voire utilitariste – de réciprocité, mais sur l’idée plus «métaphysique» de responsabilité.
Dès lors, on pourrait soutenir que «mon» refus de prendre en considération «ma» responsabilité à l’égard des autres («Mon droit, c’est ma liberté individuelle» ; «Chacun fait ses choix comme il l’entend» ; «Rien ne peut limiter ‘mes’ droits qui sont absolus et non pas relatifs à tel ou tel contexte social») repose sur une conception mesquine et pernicieuse du «droit».
Il y a une idée qui me paraît bien plus élevée, plus digne de notre statut très particulier d’être humain. C’est celle qui fait appel à la notion de «responsabilité». «Nous n’avons que des devoirs, seuls les autres ont des droits.» C’est le point de vue tout d’abord de Kant («Tu dois, donc tu peux»), mais aussi, de façon plus accentuée, plus poussée encore, c’est la thèse de Vladimir Jankélévitch.
«Tout le monde a des droits, sauf moi»
«Je considère que mon prochain, pour sa part, a droit à mon propre dévouement ; je lui concède un droit que je me refuse à moi-même, que je ne reconnais pas comme mon droit, ou du moins que je méconnais (…) Il faut que les droits de l’homme aient un autre fondement, indépendamment de mon devoir (…) Ces droits existent en soi et originalement, puisqu’ils sont inhérents à la dignité de la personne humaine (…)Tel est en définitive le profond mystère, tel est le paradoxe injuste de la loi morale : le moi n’a, pour soi, que des devoirs ; il n’y a que l’autre qui ait des droits ; ou encore : tout le monde a des droits, sauf moi (…) Noblesse oblige ! La scandaleuse injustice qui me lèse trouve sa compensation dans l’insigne honneur qui m’est fait. Tous ont des droits sauf moi, mais bien entendu le philosophe sait que j’ai droit moi aussi au respect, que je suis, comme tous les autres, fin en soi (…) Mon essence morale la plus intime ressemble à une espèce de trésor précieux qui me serait confié : c’est avoir que je suis, cet être que j’ai résume tout le mystère inexplicable de ma responsabilité (… Tel est) le fardeau de la destinée humaine en ma personne.»
Traité des vertus II, p.67 et sq. Vladimir Jankélévitch, 1986, Flammarion.
Sartre dira lui aussi : la liberté n’est pas un droit, mais un fardeau…
Professeur agrégée de philosophie, Laurence Hansen-Love a enseigné en terminale et en classes préparatoires littéraires. Aujourd'hui professeur à l'Ipesup, elle est l'auteur de plusieurs manuels de philosophie chez Hatier et Belin. Nous vous conseillons son excellent blog hansen-love.com ainsi que ses contributions au site lewebpedagogique.com. Chroniqueuse à iPhilo, elle a coordonné la réalisation de l'application iPhilo Bac, disponible sur l'Apple Store pour tous les futurs bacheliers.
Commentaires
Bonjour,
Responsabilité ? Invoquer ici la responsabilité de tout un chacun semble pour le moins décalé par rapport à la réalité, quand bien même la réthorique utilisée fait appel aux mânes de Kant, Jankélévitch et Sartre (le pauvre), pour apporter son soutien à la doxa gouvernementale, »le vaccin sauve l’hôpital » :
– quand on sait que le délabrement du système hospitalier est dû aux responsables politiques en place,
– quand on sait que les laboratoires pharmaceutiques qui fabriquent les vaccins se sont déchargés de toutes responsabitilés quant aux effets secondaires possibles des vaccins,
– quand on sait que les sommes en jeu sont considérables et que les contrats d’achat sont secrets,
– quand on sait que les sociétés pharmaceutiques poussent à la vaccination de l’ensemble de la population alors que la mesure du bénéfice / risque chez les personnes de moins de 60 ans penche vers une non-vaccination,
– quand on sait que les effets secondaires du vaccin déjà observés sont loin d’être anodins (https://www.notre-planete.info/actualites/4849-vaccins-COVID-19-risques-morts),
– quand on ignore les effets secondaires des vaccins à ARN messager sur le long terme, (des publications récentes montrent que la copie de l’ARNm du covid19 en ADN et son intégration dans le génome humain est une réalité ; l’on n’est pas actuellement en mesure d’évaluer l’impact de cette intégration – un cancer met entre 5 et 10 ans avant de se déclarer).
– quand on sait que le vaccin est inefficace contre les souches mutantes du Covid 19, et que les personnes vaccinées malades ou porteuses saines deviennent contaminantes, ( – ce qui démontre la complète inutilité du Pass vaccinal),
– quand on sait qu’on « emmerde » les non vaccinés avec ce Pass inefficace mais que l’on n’a pas le courage de rendre la vaccination obligatoire.
Confrontée à cette réalité, votre notion de responsabilité a-t-elle encore un sens ?
Cordialement
par Robreau - le 25 mars, 2022
[…] https://iphilo.fr/2022/01/09/se-faire-vacciner-ou-non-un-droit-un-devoir-une-responsabilite-laurence… […]
par Critique de l’article de Laurence Hansen-Löve, intitulé « Se faire vacciner ou non : un droit, un devoir, une responsabilité ? » | JorjR - le 29 mars, 2022
Bonjour,
Une apologie de la pureté,de la perfection ; il n’est pas raisonnable de l’afficher. L’homme, la science atteignent leur limite et le doute naturellement habite les esprits de tout un chacun.
On ne pourrait dénier le nombre de vies sauvées grâce à un ou des vaccins d’hier et d’aujourd’hui…
Quand la peur d’un vaccin est plus prégnante que la peur de la mort, alors il y a contradiction.
Nul n’est parfait,mais dans le doute, la solidarité pourrait soulager, sauver les plus faibles…
par philo'ofser - le 31 juillet, 2022
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