Ah ! Les mauvaises langues
TRIBUNE : En cette Journée de la Francophonie, Stéphane Braconnier veut montrer qu’il existe une corrélation profonde entre l’intégrité d’une nation et son unité politico-linguistique. Sans intelligence commune dont la langue s’avère le vecteur, un pays s’achemine lentement mais sûrement vers sa désagrégation et devient la proie de ses voisins à l’unité plus affermie. En ce sens, la disparité des idiomes en son sein n’engendre-t-elle pas des inégalités de traitement et une atteinte à la cohésion nationale ? Quant au régionalisme et au communautarisme, ne favorisent-ils pas une telle déliquescence ?
Stéphane Braconnier fit ses études de philosophie à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, avant une courte expérience dans le journalisme. Partant vivre en Corse, il fit son droit à l’Université Pascal Paoli et se lança dans l’entreprenariat. Il écrivit trois recueils de poésie intitulés respectivement Testostérone, L’Évasion sensuelle et Coup de pied dans la fourmilière, publiés aux Éditions Amalthée. Depuis 2013, a été est professeur de philosophie dans l’académie d’Ajaccio, puis de Nantes.
Une langue résulte autant de la philologie que d’un certain arbitraire et l’emploi de syllabes combinées plutôt que d’autres pour désigner quoi que ce soit a pour finalité de séparer les hommes les uns des autres. La multiplication des langages correspond à un morcellement croissant de l’humanité. Au sein d’une telle mosaïque, les grands espaces politiques linguistiquement homogènes affirment leur puissance, comme la Russie, la Chine ou les États-Unis, tandis que les pays aux idiomes hétérogènes ne s’imposent pas, quand ils ne frôlent pas l’implosion, à l’instar du Canada ou de la Belgique. Dans ce simple constat, on trouve l’explication de l’impéritie européenne comme celle des Amériques centrale et du Sud, ou encore celle du monde Arabe. Si la première tente d’unir politiquement ses différentes citoyennetés à l’encontre de leurs cultures respectives, les secondes, plus homogènes culturellement, fragmentent leur espace naturel en systèmes politiques dissemblables. Il en résulte que ces continents émiettés deviennent la proie des grands empires ayant unifié leur langage et leur gouvernance. Bien sûr, l’hégémonie d’une langue véhiculaire au sein d’un espace politique donné n’occulte pas totalement l’existence d’idiomes vernaculaires, mais plus ceux-ci s’imposeront, et plus le pays déclinera, plus il se délitera. Si la Suisse fait figure d’exception à un tel principe, il n’en demeure pas moins que le Canada risque toujours la scission entre les francophones et les anglophones, sans parler de la Belgique dont l’unité disparate tient du miracle.
On pourrait croire que la France échappe à une telle cacophonie grâce à son Article 2 de la Constitution de la Vème République qui instaure le Français comme l’unique langue nationale. Il n’en est rien. Des puissances sourdes agissent dans l’ombre afin de fracturer une telle unité. Saignée par des transferts de compétence entre l’Europe et les régions, la France politique devient une coquille vide, un État fantôme recevant ses directives de Bruxelles et abandonnant ses résidus de souveraineté petit à petit aux régions. Or, si la Révolution française a éradiqué l’échelon décisionnel régional au profit d’un échelon départemental qu’une journée de cheval aurait pu traverser, il ne s’agissait pas en l’occurrence d’un caprice, mais bien d’une substitution de l’espace au temps. En effet, les régions ont été instituées par leurs histoires respectives et donc par les effets du temps. Dès lors, chaque région possédait son propre droit positif, ce qui impliquait l’absence d’égalité des Français vis-à-vis de la loi. Les règles instaurées à Dijon au Duché de Bourgogne ne correspondaient pas à celles édictées à Bordeaux par le Duc d’Aquitaine. Ce qui valait pour les Capétiens s’opposait souvent à ce que prônaient les Plantagenets. Les Régions s’inscrivirent définitivement dans des temps différenciés et dans l’hétérogénéité des droits qui en résultait. Au contraire, le département étant créé de toute pièce à l’aune d’une certaine mesure spatiale atemporelle, il n’eut aucune incidence sur le droit et nous sommes égaux devant la loi de Dunkerque à Bonifacio. La notion de citoyenneté en résulte. Renoncer au département au profit des régions, c’est abolir la France, c’est dissoudre la citoyenneté et dire adieu à l’égalité de droit entre nous. D’ailleurs, si une telle égalité figure bien dans notre Déclaration de Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, elle ne figure pas dans la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. Comment y serait-elle mentionnée quand l’Europe amoncelle les législations nationales et supra nationales. Le France des régions sera fichue à l’aune d’un tel rapiéçage.
Les atteintes à l’unité linguistique de la France
Mais l’attaque contre la France n’est pas seulement politique, elle s’accompagne de sa désagrégation linguistique. Au niveau véhiculaire, l’Anglais s’impose plus ou moins insidieusement. Alors que les Britanniques ont reconquis leur souveraineté en claquant la porte de l’Europe, nos dirigeants européens continuent à échanger en Anglais entre eux et qui mieux est, nous émettons des cartes d’identité françaises bilingues, franco-anglaises. Et je ne m’étends pas sur l’hégémonie anglophone dans nombre de secteurs d’activité. Mieux encore, Macron a laissé élire une Rwandaise anglophone anti-française à la tête de la Francophonie mondiale, Louise Mushikiwabo.
Au niveau vernaculaire, l’Arabe et les langues régionales se déchirent l’hexagone. Récemment, je patientais dans une salle d’attente médicale à Bastia parmi une demi-douzaine de patients d’origine magrébine, deux Corses et un pinzutu (c’est comme ça qu’on désigne les Français continentaux sur l’île), moi en l’occurrence. La conversation s’anima quant à l’ordre de passage chez le médecin, mais seulement en langue Arabe entre la demi-douzaine d’émigrés. Autrement dit, ils délibéraient quant à nous en langue étrangère, devenue vernaculaire. Comme le sujet intéressait tous les patients présents, on imposa que la discussion se tienne en Français. Déjà que les Corses ont tendance à nous ostraciser en parlant en Corse au milieu des pinzuti. Bref, on ne trouve plus notre place citoyenne ou du moins, la langue véhiculaire n’y contribue plus. Il faut dire que la tolérance laïque plus que coupable et l’Éducation nationale ont favorisé une telle anarchie linguistique.
En interdisant de parler autrement qu’en Français et notamment à l’école, la IIIème République avait sans doute conscience du danger que représentait l’hétérogénéité linguistique sur son territoire. Et quand la 1ère Guerre mondiale éclata, tous les Français y allèrent dans un même élan patriotique, qu’ils soient Corses, Bretons, gens du Poitou, Savoyards, Picards, etc. L’homogénéité linguistique avait assuré la cohésion nationale. Je précise ce fait car avant la IIIème République, une telle unité faisait défaut et le pays eut à en pâtir douloureusement. Mais remontons quelque peu dans le temps afin d’attribuer une date de naissance à cette langue, une sorte d’état civil national. L’Ordonnance de Villers-Cotterêts de François 1er, datant du mois d’août 1539 et qui impose le Français dans tous les actes écrits constitue indéniablement son avènement. Il s’inscrivait dans le prolongement de celui de l’imprimerie ayant moins d’un siècle quant à lui. En effet, ne pouvant imprimer un texte dans tous les différents idiomes de France et de Navarre sans compter le Latin, François 1er imposa le Français dans l’intention d’être compris par tous ses sujets. À travers ses articles 110 et 111, cette volonté d’intelligence commune s’érige en impératif d’État, comme on peut s’en rendre compte :
110 : «Que les arrêts soient clairs et compréhensibles, et afin qu’il n’y ait pas de raison de douter sur le sens de ces arrêts, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement qu’il ne puisse y avoir aucune ambiguïté ou incertitude, ni de raison d’en demander une explication.»
111 : «Et parce que de telles choses sont arrivées très souvent, à propos de la [mauvaise] compréhension des mots latins utilisés dans lesdits arrêts, nous voulons que dorénavant tous les arrêts ainsi que toutes autres procédures, que ce soit de nos cours souveraines ou autres subalternes et inférieures, ou que ce soit sur les registres, enquêtes, contrats, commissions, sentences, testaments et tous les autres actes et exploits de justice qui en dépendent, soient prononcés, publiés et notifiés aux parties en langue maternelle française, et pas autrement.»
Hélas, les fruits d’une telle Ordonnance furent limités et l’histoire se poursuivit avec un développement de la langue française plutôt inattendu si l’on en croit le rapport[1] de l’Abbé Grégoire à la Convention nationale dans lequel il apparaît que le Français est plus utilisé à l’étranger qu’il n’est maîtrisé en France :
«La langue française a conquis l’estime de l’Europe, et depuis un siècle elle y est classique : mon but n’est pas d’assigner les causes qui lui ont assuré cette prérogative. Il y a dix ans qu’au fond de l’Allemagne, à Berlin, on discuta savamment cette question qui, suivant l’expression d’un écrivain, eût flatté l’orgueil de Rome, empressée à la consacrer dans son histoire comme une de ses belles époques. On connaît les tentatives de la politique romaine pour universaliser sa langue : elle défendait d’en employer d’autres pour haranguer les ambassadeurs étrangers, pour négocier avec eux. Et, malgré ses efforts, elle n’obtint qu’imparfaitement ce qu’un assentiment libre accorde à la langue française. On sait qu’en 1774, elle servit à rédiger le traité entre les Turcs et les Russes. Depuis la paix de Nimègue, elle a été prostituée, pour ainsi dire, aux intrigues des cabinets de l’Europe. Dans sa marche claire et méthodique, la pensée se déroule facilement ; c’est ce qui lui donne un caractère de raison, de probité, que les fourbes eux-mêmes trouvent plus propres à les garantir des ruses diplomatiques. Si notre idiome a reçu un tel accueil des tyrans et des cours à qui la France monarchique donnait des théâtres, des pompons, des modes et des manières, quel accueil ne doit-il pas se promettre de la part des peuples à qui la France républicaine révèle leurs droits en leur ouvrant la route de la liberté ? Mais cet idiome, admis dans les transactions politiques, usité dans plusieurs villes d’Allemagne, d’Italie, des Pays-Bas, dans une partie du pays de Liège, du Luxembourg, de la Suisse, même dans le Canada et sur les bords du Mississipi, par quelle fatalité est-il encore ignoré d’une très-grande partie des Français.»
D’une telle fatalité, l’Abbé Grégoire en dénoncera les contours dans ce fameux rapport :
«Il n’y a qu’environ quinze départements de l’intérieur où la langue française soit exclusivement parlée ; (…) On peut assurer sans exagération qu’au moins six millions de Français, surtout dans les campagnes, ignorent la langue nationale ; qu’un nombre égal est à peu près incapable de soutenir une conversation suivie ; qu’en dernier résultat, le nombre de ceux qui la parlent n’excède pas trois millions, et probablement le nombre de ceux qui l’écrivent correctement encore moindre. Ainsi, avec trente patois différents, nous sommes encore, pour le langage, à la tour de Babel, tandis que, pour la liberté, nous formons l’avant-garde des nations.»
À l’époque, 3 millions de Francophones seulement sur le territoire national, sur un total de 28 millions de Français, soit 1/9ème. des citoyens ! Notons qu’aujourd’hui, le Français doit faire face aux prétentions d’une vingtaine de langues régionales. La Révolution française faillit succomber à ce morcellement culturel du pays résultant de cette cacophonie linguistique, lequel avortait le sentiment national naissant. Et quand le 20 avril 1792, la France déclara la guerre à l’Europe, les Vendéens se proclamèrent avant tout Vendéens et les Bretons s’affirmèrent Bretons. Ce fut la guerre civile : la Guerre de Vendée ! Autrement dit, une culture de rechange, telle une double nationalité, permettait de ne pas répondre de ses obligations. Comble de l’absurdité, les Chouans ont fait la guerre à la France pour ne pas aller la faire contre l’Europe. Résultat, la France eut à y déplorer 200 000 morts. On comprend pourquoi la IIIème. République évita un tel écueil en imposant l’uniformité linguistique sur tout son territoire. On saisit de même ce qui a poussé De Gaulle à inscrire cette même uniformité dans la rédaction de la Vème République, via son article 2.
Le péril régionaliste
Hélas encore, dans les faits, un siècle d’efforts n’auront pas suffi pour imposer le Français de manière incontestable. Déjà De Gaulle manquait de cohérence sur le sujet en édictant l’Article 2 de sa Constitution en 1958, tout en voulant remettre sur le devant de la scène la régionalisation de la France à la faveur de son référendum de 1969. Si ce projet fut désavoué, cinquante années suffirent néanmoins pour régionaliser l’hexagone avec comme corollaire la résurgence des idiomes vernaculaires, et qui plus est, avec des moyens extravagants alloués par l’Éducation nationale pour leur promotion. La dernière loi sur la protection des langues régionales dite «loi Molac»[2] conforte des scolarités bilingues en tout genre avec les écoles Diwan en Bretagne, la fédération des Ikastola (38 établissements scolaires) au pays Basque français, l’enseignement immersif en langue Corse dès la maternelle dans certaines classes sur l’Île de beauté, etc. ; ajoutons à ceci la réduction considérable du nombre d’heures d’enseignement de la langue française sur tout le territoire national. Entre 1968 et 2015, 432 heures annuelles de Français ont été supprimées à l’école primaire, ainsi que 90 heures annuelles au collège entre 1975 et 2015, soit 522 heures d’apprentissage en moins par élève. Mais ce n’est pas tout, toute une génération d’élèves a été sacrifiée par les méthodes d’apprentissage de la langue que Stanislas Dehaene dénonce :
«La psychologie cognitive réfute ainsi, très directement, toute idée d’enseigner la lecture par une méthode globale ou idéovisuelle. (…) en dépit des idées généreuses qui la fondent, elle a conduit une génération d’enfants à l’échec. (…) l’hémisphère droit s’activait pour la lecture globale, alors que l’attention portée aux lettres activait bien la région classique de la lecture, l’aire occipito-temporale gauche. Autrement dit, l’apprentissage par la méthode globale mobilisait un circuit inapproprié, diamétralement opposé à celui de la lecture experte[3].»
Et l’on s’étonne ensuite ingénument du manque de maîtrise du Français en fin de scolarité. Nos élèves ne sauraient en être responsables : ils en sont les victimes. Il semble que nos ministres de l’Éducation successifs aient perdu de vue leur rôle essentiel : celui de préparer nos enfants à leur avenir, car ce dernier ne saurait se confondre avec un passé… dépassé. Sur toute la surface de l’hexagone, le Français doit s’affirmer comme la langue vernaculaire. Bien sûr, il a aussi un rôle véhiculaire à la faveur de la Francophonie. À rebours, on trouvera toujours des zélateurs pour défendre des embryons culturels, comme si on pouvait mettre Frédéric Mistral à côté de Victor Hugo, comparer I Muvrini avec Claude Debussy et mélanger les torchons avec les serviettes. Daudet, Pagnol et Giono étaient des Provençaux ; ils magnifièrent la Provence aux yeux du monde entier, mais grâce à la magie du Français. Or, comme je l’ai écrit dans ma tribune du 11 mai 2021, les cultures sont hégémoniques, elles tentent de s’agrandir spatialement au détriment de leurs consœurs, même si certaines ont plus de prétentions que de consistance. La culture française doit se défendre de telles prédations.
Les disparités linguistiques à l’origine des inégalités de droit
La régionalisation de l’espace public n’est pas le seul écueil que rencontre notre nation. L’émigration, et le communautarisme de fait qui en résulte, réduit encore la propension de ses occupants à s’exprimer en Français et à le transmettre de génération en génération. Entre l’écueil régional et l’écueil migratoire, la France s’achemine lentement, mais sûrement, vers la cacophonie linguistique que dénonçait l’Abbé Grégoire et la désagrégation politique dont elle s’avère le corollaire. L’intelligence communeest en cause ainsi que l’égalité entre nous, générant à terme un monde d’inégalités et conséquemment, l’institution des injustices. En souhaitant un idiome commun, Condorcet aspirait justement à extraire le peuple d’une telle gouvernance inique :
«Dès lors, les habitants d’un même pays, n’étant pas distingués entre eux par l’usage d’une langue plus grossière ou plus raffinée, pouvant également se gouverner par leurs propres lumières, n’étant plus bornés à la connaissance machinale des procédés d’un art et de la routine d’une profession, ne dépendant plus, ni pour les moindres affaires, ni pour se procurer la moindre instruction, d’hommes habiles qui les gouvernent par un ascendant nécessaire, il doit en résulter une égalité réelle, puisque les différences des lumières ou des talents ne peut plus élever une barrière entre des hommes à qui leurs sentiments, leurs idées, leur langage permettent de s’étendre, dont les uns peuvent avoir le désir d’être instruits par les autres, mais n’ont pas besoin d’être conduits par eux ; dont les uns peuvent vouloir confier aux plus éclairés le soin de les gouverner, mais non être forcés de le leur abandonner avec une aveugle confiance.»[4]
Le Français est donc devenu l’idiome international de la misère ! On parlera bientôt de moins en moins «la France» au sein de l’hexagone et paradoxalement de plus en plus en dehors, comme au XVIIIème. siècle. En effet, les projections de l’Institut d’Études Nationales Démographiques (I.N.E.D.) anticipent l’explosion des naissances en Afrique qui fera qu’en 2050, 85% des Francophones seront Africains. Ainsi, le nombre de Francophones devrait tripler et représenter 8% de la population mondiale, alors qu’aujourd’hui, elle est de l’ordre de 3%. Il y a tout de même une insigne différence avec le XVIIIème. siècle quant à considérer le Français en tant que langue internationale. À cette époque, le Français était parlé par les élites européennes et américaines qui prenaient soin de cette langue, tandis qu’en 2050, il sera le langage des damnés de la terre ; le monde anglophone se réservant des territoires économiquement plus florissants comme l’Angleterre, Les États-Unis, le Canada, l’Australie, etc. Comme le Français fut le langage des bucherons et des porteurs d’eau des Anglais au Québec, le Français deviendra celui des déshérités de ce monde, s’y adaptant afin de générer un néo-cajun ou un néo-créole, et faisant du Français un anachronisme linguistique.
Lire aussi : «Bobard démocratique ?» (Stéphane Braconnier)
Comment enrayer une telle dégénérescence hexagonale concomitante au déclin de notre langue maternelle, qu’il soit d’ordre régional ou d’ordre communautariste ? L’impéritie de la Loi dite « Toubon »[5] sur l’obligation de l’emploi du Français est à faire pleurer. Jamais loi ne fut plus bafouée. On est très loin de cette époque où un Camus pouvait écrire dans ses Carnets : « Oui, j’ai une patrie : la langue française ». Les Québécois semblent largement plus efficaces dans la protection de leur idiome avec leur Loi 101, devancière en la matière (1976), d’autant que dans leur résistance héroïque contre l’hégémonie canadienne, la défense de leur langue originelle fut la pierre angulaire de leur résistance. En fait, il semblerait que tous les peuples francophones défendent mieux notre langue maternelle que nous ne le fîmes nous-mêmes durant ces cinquante dernières années. Ajoutons à ceci l’offensive des partisans de l’écriture inclusive qui tentent de détricoter notre langue au nom du sexe des anges, offensive à laquelle résistent nos quarante académiciens dont l’ancienneté n’a d’égale que l’impuissance, la coupole étant placée sous la tutelle d’un Ministère des cultures jack-Languisé, quand bien même elle se devrait d’avoir le dernier mot. Le Secrétaire perpétuel de l’Académie française, Mme. Hélène Carrère d’Encausse ne me démentirait certainement pas puisque son discours du 3 décembre 2009 à la séance de l’Institut préfigurait déjà tout ce que j’exprime ici. Mais quelle publicité lui a-t-on donné ? Absolument aucune. Résultat : néant. Tandis que l’écriture inclusive fait quotidiennement débat, alors qu’il conviendrait de l’ignorer souverainement.
Sous une domination anglophone implacable, le Québec a survécu au fédéralisme grâce à son amour pour la langue française et sa pratique indéfectible. Il serait temps que la France en prenne conscience et l’imite afin que son destin lui appartienne toujours…
[1] RAPPORT SUR LA NÉCESSITÉ ET LES MOYENS D’ANÉANTIR LES PATOIS ET D’UNIVERSALISER L’USAGE DE LA LANGUE FRANÇAISE, par Grégoire, Séance du 16 prairial, l’an deuxième de la République, une et indivisible.
[2] Loi n° 2021-641 du 21 mai 2021.
[3] Stanislas Dehaene, Les neurones de la lecture, Éd. Odile Jacob, Paris, 2007, pp.291-292 et p.299.
[4] Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, Éd. Flammarion, coll. GF, Paris, 1988, pp.275-276.
[5] Loi no 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française
Stéphane Braconnier fit ses études de philosophie à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, avant une courte expérience dans le journalisme. Partant vivre en Corse, il fit son droit à l’Université Pascal Paoli et se lança dans l’entreprenariat. Il écrivit trois recueils de poésie intitulés respectivement Testostérone, L’Évasion sensuelle et Coup de pied dans la fourmilière, publiés aux Éditions Amalthée. Depuis 2013, a été est professeur de philosophie dans l'académie d’Ajaccio, puis de Nantes.
Commentaires
M Braconnier aime bien la polémique, je crois.
Pourquoi pas ?
Quelques apports pour nuancer son propos :
En visite touristique au Québec, et dans le musée d’histoire de la ville de Québec, j’ai saisi une des raisons fondamentales du rayonnement de la langue française au Québec, lui permettant de durer avec le poids écrasant d’une culture anglophone voisine : le rôle déterminant de l’Eglise Catholique Romaine, de ses… politiques, pour contrer l’influence anglo-saxonne, et même gêner les Anglais, ennemis héréditaires.
Sans l’appui de la Grande Romaine, la culture française dans le Nouveau Monde, au Canada, aurait été rayée de la carte depuis longtemps.
Or… tout observateur observant même grossièrement l’histoire française sait que la République française s’appuie sur un anti-cléricalisme farouche et fondateur. Elle le fait en raison de son ambition de se substituer à cette Eglise.. « catholique », donc, universelle, en usurpant sa vocation, et ses missions (éducation, soins médicaux, même…). Ce qui veut dire que depuis longtemps, la République oeuvre pour scier la branche sur laquelle elle est assise. En France et ailleurs. Le français ne se porte pas si bien que ça au Québec, en passant.
Le dernier livre de Christopher Lasch s’appelait en français, « La Révolte des élites et la trahison de la démocratie ». Lasch y fustigeait une classe bourgeoise intellectuelle dont les allégeances, les loyautés étaient supra-nationales. Force est de constater que depuis longtemps, il n’est pas de bon ton en France d’être patriote dans les classes considérées, et se considérant comme supérieures.
En 1996, Lasch voyait déjà à quel point l’unité NATIONALE n’avait aucune importance pour ces élites, qui se sentaient chez elles partout dans le monde, et le professaient (ça veut dire quoi, d’ailleurs, de se sentir partout chez soi ? Ce serait donc ça… la fraternité ?…). Comme M Braconnier, je ne peux absolument pas défendre la volonté de ces élites de favoriser la colonisation de la France par une puissance étrangère, dont les intérêts ne sont pas identiques à ceux de la France (pas l’Angleterre, mais les U.S.). Mais je suis navrée de voir à quel point le peuple ET ses élites veulent être colonisés. Et oui, on a tendance à croire que la colonisation est forcément la domination d’une puissance sur une victime, mais cela fait l’impasse sur le désir de la « victime » d’accéder aux avantages qu’elle perçoit… de cette colonisation.
Pour le français comme langue nationale, je serais tentée de demander quel français, même sans faire intervenir le problème de l’anglais, qui, en passant, n’est pas l’anglais de l’Angleterre, mais l’anglais des U.S. Grande nuance, car l’anglais des U.S. est bien plus inféodé au latin que son frère, l’anglais de l’Angleterre. Au moment où j’ai appris le français comme langue étrangère, j’ai appris qu’il existait au sein de la langue française elle-même, des niveaux de langue qui faisaient qu’on ne s’exprimait pas avec la même langue en face du président de la République (théoriquement, car depuis qu’Emmanuel Macron a cru bon de… détrôner la langue noble qui incombait à sa fonction, les choses se sont encore détériorées…) qu’avec sa famille, autour de la table le soir, au dîner. On apprenait la nécessité de la bienséance… dans l’espace public, et dans l’exercice de sa fonction. On apprenait l’écart entre l’espace public et l’espace privé.
Et puis, je suis contente d’être bilingue. C’est une richesse. Cela apporte une plus grande souplesse dans l’appréhension du monde, et de ce qu’on appelle « la réalité ». Qu’il puisse y avoir des espaces où on parle une langue, et des espaces où on parle une autre, c’est une richesse. Cette diversité est une richesse, et non pas une menace. La vraie menace, c’est l’intolérance, et le pression farouche pour faire taire toute forme de conflit, de dissension au sein de la collectivité. L’unité, oui, mais en tenant compte des différences, et les tolérant. Donc… en laissant de la place pour le débat, et la polémique.
par Debra - le 21 mars, 2022
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