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L’I.V.G. : Droit naturel ou enjeu démocratique ?

1/07/2022 | par Stéphane Braconnier | dans Politique | 1 commentaire

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TRIBUNE : La misère pose cruellement la question de l’avortement, et c’est de ce sujet d’actualité que Stéphane Braconnier aimerait débattre. Récemment, la Cour Suprême des États-Unis vient en effet d’en restituer la légalisation aux différents États américains qui vont se départager sur la question en fonction de l’imprégnation religieuse de leur territoire. Globalement, l’Europe s’élève contre cette décision, alors même qu’elle n’a jamais garanti l’I.V.G. à sa population et que personne ne considère l’avortement comme le triomphe d’un individualisme antisocial.


Stéphane Braconnier fit ses études de philosophie à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, avant une courte expérience dans le journalisme. Partant vivre en Corse, il fit son droit à l’Université Pascal Paoli et se lança dans l’entreprenariat. Il écrivit trois recueils de poésie intitulés respectivement Testostérone, L’Évasion sensuelle et Coup de pied dans la fourmilière, publiés aux Éditions Amalthée. Depuis 2013, a été est professeur de philosophie dans l’académie d’Ajaccio, puis de Nantes.


QUAND LA MISÈRE COMMET L’IRRRÉPARABLE

Juste histoire de bousculer les idées reçues, je lis parfois aux élèves cet extrait de l’Essai sur le principe de population de Malthus qui rapporte qu’un certain empereur de Chine a interdit de noyer les nouveau-nés :

            «Le même ouvrage contient une partie d’un édit fait dans le but d’empêcher de noyer les enfants : « Quand on jette sans pitié, dans les flots, un fruit tendre qu’on vient de produire, peut-on dire qu’on lui a donné et qu’il a reçu la vie, puisqu’il la perd aussitôt qu’il commence d’en jouir ? La pauvreté des parents est la cause de ce désordre ; ils ont de la peine à se nourrir eux-mêmes, encore moins peuvent-ils payer des nourrices, et fournir aux autres dépenses nécessaires pour l’entretien de leurs enfants : c’est ce qui les désespère ; et ne pouvant se résoudre à laisser mourir deux personnes pour en faire vivre une seule, il arrive qu’une mère, afin de conserver la vie de son mari, consent à l’ôter à son enfant. Cependant il ne laisse pas d’en coûter à leur tendresse naturelle, mais enfin ils se déterminent à ce parti, et ils croient pouvoir disposer de la vie de leurs enfants, afin de protéger la leur. S’ils allaient exposer leurs enfants dans un lieu écarté, l’enfant jetterait des cris, leurs entrailles en seraient émues : que font-ils donc ? Ils jettent ce fils infortuné dans le courant d’une rivière, afin de le perdre de vue d’abord, et de lui ôter en un instant toute espérance de vie. »[1]»[2]

            Suite à cette courte lecture, j’interroge alors mon auditoire afin de déterminer si cet empereur avait raison de prohiber de telles noyades. Comme vous vous en douterez, l’ensemble de mes apprentis philosophes répond en chœur par l’affirmative, particulièrement horrifié par un tel procédé. Je m’en étonne auprès d’eux, car leur réponse me laisse supposer qu’ils sont opposés à l’avortement. Quelques secondes de silence interloqué s’ensuivent, avant qu’un «mais c’est pas pareil, Monsieur…» finisse par interrompre cet embarras intellectuel.

            Qu’est-ce qui n’est pas pareil ? surtout lorsqu’on compare cette situation sociale déterminante, impérative, à la possibilité en France de se faire pratiquer une Interruption Volontaire de Grossesse (I.V.G.) à terme (loi bioéthique du 2 août 2021) pour des motifs de détresse psycho-sociale ; avortement rebaptisé subtilement à l’occasion en Interruption Médicale de Grossesse (I.M.G.), ce texte faisant de la détresse sociale une raison médicale. Qu’est-ce qui sépare cette nouvelle loi de la pratique chinoise relatée dans cet extrait ? Rien, si ce n’est la coupure du cordon ombilical et son corollaire : l’intériorité ou l’externalité de l’enfant du corps de sa mère. En fait, quand mes élèves s’offusquent de la description rapportée par Malthus, ils répugnent davantage sur la méthode que sur le résultat ; le bistouris plutôt que le plongeon, tout comme ces partisans de la peine de mort qui préfèrent l’injection létale à la guillotine. Ça doit leur sembler plus dématérialisé, plus immaculé. La mort oui, mais pas sans Monsieur Propre. Comme si les Chinois de cette époque disposaient des techniques d’avortement moderne…

            Qu’on ne s’y trompe pas, je suis en faveur de l’avortement. Ma pensée libertaire m’y pousse, comme mon individualisme, mon libéralisme philosophique à la John Stuart-Mill, etc. L’article 16 du Code civil sur l’indisponibilité du corps humain entérine l’idée que je me fais de ma propriété de mon corps, tant et si bien que je me vois mal refuser à autrui la même prérogative sur le sien. Ceci n’empêche pas pour autant de retourner la question dans tous les sens, d’autant que le droit français s’avère quelque peu désinvolte quant à la prise en compte de la vie de l’enfant. Il la nie avant la naissance, l’article 79-1 du Code civil contestant toute vie avant qu’ait été déclarée sa naissance si l’enfant est mort au moment de cette déclaration : «un acte d’enfant sans vie. (…) L’acte dressé ne préjuge pas de savoir si l’enfant a vécu ou non». Il serait pourtant absurde de supposer que cet enfant mort-né n’ait pas vécu dans le ventre de sa mère… que l’intégrité du cordon ombilical réduit cet enfant à une simple composante de la physiologie maternelle.

            Mais non, on s’obstine à penser culturellement à l’encontre de la nature que l’enfant n’existe pas avant son expulsion matricielle, ce qui s’avère néanmoins indispensable pour légitimer l’I.V.G. Sinon, on s’apparenterait au saut de l’ange made in China du nouveau-né. Or, dans les faits, et mis à part la discrétion de l’I.V.G., la différence est plus que minime. Je dirais même plus, on pourrait s’interroger sur une législation qui adoube l’avortement pratiquement à terme et fait d’un crime l’infanticide natal, comme dans les affaires de déni de grossesse jugées par nos cours d’assises. Jeter à la poubelle un enfant quelques semaines avant sa naissance constitue un droit, quand le mettre au congélateur en sortie de couches s’apparente à l’un des pires crimes : l’immolation de l’innocence. Je le répète, je suis en faveur de l’avortement, qu’on ne se méprenne pas sur mon propos : supprimer un être surnuméraire avant ou après sa naissance ne me semble pas influer sur le raisonnement ; il ne s’agit que d’une question de sensiblerie. D’ailleurs, la surpopulation s’en charge à défaut, puisque nous comptabilisons plus de 10 000 enfants décédés du fait de la faim chaque année dans le monde. Devons-nous attendre une telle fin inexorable, horrible, surtout quand elle est prévisible ? La politique de l’enfant unique en Chine avait pour seule ambition d’éviter de tels expédients. Et si ces 10 000 gamins morts de faim annuellement illustrent principalement le malheur dans le tiers monde, il n’en demeure pas moins que dans nos pays développés la prohibition de l’avortement génère de la misère, qu’elle soit d’ordre psychologique, économique, ou les deux.

UN BRIN DE PAILLE DANS LEUR ŒIL, UNE POUTRE DANS LE NÔTRE

La Cour suprême des États-Unis d’Amérique vient de statuer quant à l’avortement au grand dam de la doxa française éternellement touchée par le Saint-Esprit. Or, cette Cour ne l’a pas interdit ; elle a laissé le choix aux États de l’Union de l’autoriser ou non, comme le précise le Juge Samuel Alito : « L’avortement présente une question morale profonde. Nous considérons que la Constitution ne confère pas un droit à l’avortement. Elle n’interdit pas aux citoyens de chaque État de réglementer ou d’interdire l’avortement. Roe et Casey se sont arrogés cette autorité. Nous annulons maintenant ces décisions et rendons cette autorité au peuple et à ses représentants élus». Effectivement, en 1973, les arrêts Roe vs Wade et Planned Parenthood vs Casey avaient imposé le droit à l’avortement aux différents États sans qu’ils aient voix au chapitre. Le procédé était plutôt violent démocratiquement, voire contraire à l’esprit de la démocratie américaine si l’on en croit Tocqueville :

«Examiner l’Union avant d’examiner l’État, c’est s’engager dans une route semée d’obstacles. La forme du gouvernement fédéral aux États-Unis a paru la dernière ; elle n’a été qu’une modification de la république, un résumé des principes politiques répandus dans la société entière avant elle, et y subsistant indépendamment d’elle. Le gouvernement fédéral, d’ailleurs, comme je viens de le dire, n’est qu’une exception ; le gouvernement des États est la règle commune.»[3]

Ainsi, la Cour Suprême revient à ses fondamentaux constitutionnels, ne nous en déplaise. Ce n’est pas parce que cette décision contrevient à nos opinions que l’on doit sacrifier les principes démocratiques, qui plus est ceux des autres, au nom d’un féminisme aussi tendancieux que vociférant. Grosso modo, on ne doute pas que cette alternative laissée aux différents États scindera les U.S.A. entre les pro-avortement sur les littoraux Atlantique et Pacifique d’une part, et les anti-avortement dans les grandes plaines du milieu continental, abrutis par le  Christianisme. Les anti-avortement scanderont Vox populi, vox Dei, quand les pro-avortement leur répondront vox populi, populus stupidus. C’est leur affaire et si les Américaines s’offusquent de cette décision, elles ont toujours la possibilité de voter pour le parti Démocrate dans leur État respectif. Contrairement à nous qui cherchons à transposer ce que nous considérons comme un droit naturel des femmes dans le droit positif, les Américains réduisent pour leur part l’avortement à un simple enjeu démocratique.

Il serait alors équivoque pour nous, laïques bien-pensants, d’admettre toutes les religions et d’en refuser les conséquences. D’autant que s’il y a lieu d’établir une comparaison, elle ne saurait mettre aux prises les U.S.A. et la France, mais les U.S.A. et l’Europe ; fédéralisme oblige. Celle-ci n’échappe pas non plus à de tels débats aux relents monothéistes ; et comble de l’affaire, elle n’a jamais offert la protection aux Européennes qu’avait instituée la Cour Suprême des États-Unis aux Américaines durant une cinquantaine d’années (de 1973 à 2022).  L’Irlande a cessé de faire de l’avortement un crime en 2018 seulement. La Pologne vient d’en restreindre la pratique drastiquement en 2020. Si la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (Conv. E.D.H.) reconnaît le droit à la vie à la faveur de son article 2, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (C.E.D.H.) se refuse à déterminer le début de la vie et laisse ce soin à chaque État membre.

La C.E.D.H. estime de même que l’article 8 de la Conv. E.D.H., qui préserve la vie privée, et donc en l’occurrence le choix de la mère, n’implique nullement le droit à l’I.V.G. ; «l’article 8 ne saurait en conséquence s’interpréter comme consacrant un droit à l’avortement»[4]. Dans cette affaire, la C.E.D.H. corrobore la volonté démocratique des États – l’Irlande s’étant prononcée contre l’avortement par référendum en 1983 – et se positionne déjà de la même manière que ne vient de le faire la Cour Suprême américaine. Celle-ci remarque que, dans l’affaire Open Door, elle a conclu que la protection garantie par le droit irlandais au droit à la vie des enfants à naître reposait sur de profondes valeurs morales concernant la nature de la vie, telles qu’elles s’étaient traduites dans l’attitude de la majorité du peuple irlandais lors du référendum de 1983. Elle a estimé que la restriction litigieuse dans cette affaire poursuivait le but légitime de protéger la morale, dont la défense en Irlande du droit à la vie de l’enfant à naître constituait un aspect. Cette jurisprudence a été confirmée dans l’affaire Vo précitée, où la Cour a jugé qu’il n’était ni souhaitable ni possible de répondre à la question de savoir si l’enfant à naître était une «personne» au sens de l’article 2 de la Convention, de sorte qu’un État pouvait tout aussi légitimement choisir de considérer l’enfant à naître comme «une personne et protéger sa vie qu’adopter le point de vue opposé». Dans un arrêt antérieur sur lequel elle s’appuie au demeurant en le citant, la C.E.D.H. fut plus précise quant à l’imprécision juridique du commencement de la vie humaine. La Commission a ajouté que l’enfant à naître n’est pas une «personne» au vu de l’usage généralement attribué à ce terme et du contexte dans lequel il est employé dans la disposition conventionnelle. Quant au terme «vie», et en particulier le début de la vie, il existe des «divergences de points de vue sur la question du moment où [elle] commence (…). D’aucuns estiment qu’elle commence dès la conception alors que d’autres ont tendance à insister sur le moment de la nidation, sur celui où le fœtus devient viable ou encore sur celui où il naît vivant.» (X c. Royaume-Uni, p. 260, § 12)[5]. Il en résulte qu’avant 2018, les Irlandaises enceintes à l’insu de leur plein gré venaient se faire avorter dans les pays de l’Union Européenne où l’I.V.G. n’était pas interdite. On peut s’attendre aujourd’hui à ce que certaines Polonaises en fassent autant, car depuis 2020, l’avortement se limite aux cas de viol, d’inceste ou d’une exposition de la vie de la mère. Même la malformation du fœtus ne suffit plus à en justifier la pratique. En ce qui concerne l’archipel de Malte, l’I.V.G. est totalement interdite, nonobstant la santé de la mère. Bref, la Conv. E.D.H. ne garantit aucunement le droit à l’avortement… qu’on se le dise ! Mieux encore : le Parlement européen est présidé par Roberta Metsola, une députée maltaise anti-avortement.

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La question résiduelle serait alors de savoir si l’on doit instaurer l’avortement au prix de la démocratie ; une juridiction supranationale imposant une législation à des États qui n’y auraient pas consenti ? Au lieu de balayer devant notre porte et de s’acharner inconsidérément sur la Cour Suprême des États-Unis, laquelle restaure cette démocratie au sein même des États fédérés, ne conviendrait-il pas mieux de s’en prendre au terrorisme intellectuel qu’instaurent les religions monothéistes ? Car indubitablement, c’est là que réside la source du fascisme anti-avortement. Doit-on considérer Moïse comme une autorité, puisque descendu de sa montagne avec sur ses Tables de la loi le fameux «Tu ne tueras point.» ?… ou relativiser un tel précepte comme son auteur le fit lui-même en assassinant 3 000 personnes au nom de sa foi quelques minutes plus tard[6] ? Quelle différence y a-t-il entre une république islamique et un État dont le droit s’inspire de la Bible ? car sur cette question de l’avortement dans les États qui vont en interdire la pratique, c’est bien le fanatisme religieux qui l’emporte sur la liberté individuelle de disposer de son propre corps. L’interdiction d’avorter à l’occasion d’une grossesse malencontreuse n’a d’égal que l’obligation de porter le voile, quant à son origine. Le Christianisme a aussi ses fondamentalistes, lesquels se prévalent de la démocratie et de la liberté pour entraver celle de leur prochain.

L’I.V.G. OU LE TRIOMPE DE L’INDIVIDUALISME

Après, si l’I.V.G préserve l’avenir de la femme dont la grossesse n’est pas désirée et se justifie ainsi aisément, on ne doit pas ignorer les effets secondaires d’une telle pratique au niveau sociétal. Certes, et comme on nous le serine sempiternellement depuis la loi Veil, une femme n’avorte pas de gaîté de cœur. Ce geste n’est pas anodin, il peut constituer un mauvais souvenir au demeurant évanescent. Mais il ne saurait surpasser la frustration, la douleur psychologique aussi profonde que perpétuelle de la femme stérile. Autrefois, avant l’instauration de l’I.V.G. en France en 1974 (si l’on fait abstraction des avortements clandestins) le fruit des grossesses non désirées était redistribué aux femmes qui ne pouvaient pas physiologiquement avoir d’enfants, telle l’expression d’une solidarité féminine nationale inévitable, comme s’il y avait une dissociation entre donner naissance à un enfant et l’élever. Aujourd’hui, on fait tout un foin juridique quant à la Gestation Pour Autrui (G.P.A.), son incompatibilité avec l’article 16 du Code civil selon lequel on ne saurait disposer du corps humain. Cependant, l’abandon d’un enfant dès sa naissance, lequel était cédé gratuitement à un couple dont l’épouse était stérile, y ressemblait étrangement.

Cela dit, le progrès a bien changé la donne. Maintenant, on a une population de femmes qui avorte (aux frais du contribuable) face à une autre subissant des implantations in vitro redondantes (toujours au frais du contribuable), avant que ces dernières ne se résolvent à payer des sommes encore plus astronomiques afin de pratiquer une G.P.A. à l’étranger pour les plus malchanceuses. Ou alors, les femmes irrémédiablement stériles optent pour une adoption internationale aussi coûteuse qu’hasardeuse la plupart du temps. Quelle différence y a-t-il réellement entre la situation d’antan et celle d’aujourd’hui ? seulement le fric, une montagne de fric. Tout d’abord, la société finance l’avortement en même temps que la F.I.V. ; un en même temps qui s’apparente déjà à un certain n’importe quoi, ou du moins à un non-sens écologique. Comme toujours, on s’acharne à déroger à la loi naturelle. Si l’on prend les chiffres de 2019 en France, on a pratiqué 232 200 I.V.G. (550 € l’acte chirurgical en moyenne, soit 127 710 000 € approximativement) en même temps que 157 593 F.I.V. (à 4 000 € l’acte complet en moyenne, soit 630 372 000 € approximativement), bref, un en même temps budgétisé à hauteur de 758 082 000 €. Socialement, l’individualisme est à ce prix. Ensuite, une G.P.A. est réservée à des couples qui peuvent y investir plusieurs dizaines de milliers d’euros. De même, les institutions qui gèrent l’adoption privilégient ceux ayant une certaine surface financière. Les ménages désargentés n’y ont pas accès. Les pauvres, on les abandonne à leurs frustrations. On conçoit dès lors toute l’inégalité qui sépare la femme féconde de la femme stérile. L’une a le droit d’élever des enfants, quelle que soit sa situation financière, tandis que l’autre ne pourra y prétendre qu’à l’aune d’une certaine fortune. Les effets secondaires de l’I.V.G. soumettent les couples stériles à l’ultralibéralisme économique d’un Malthus prétendant que «c’est le devoir de tout individu de l’espèce humaine, de ne songer au mariage que lorsqu’il a de quoi suffire aux besoins de sa progéniture.»[7]

Lire aussi : La GPA : éléments philosophiques (Philippe Granarolo)

 Ainsi, si la prohibition de l’I.V.G. palliait à l’inégalité naturelle quant à la possibilité d’élever des enfants, son autorisation la restaure. Il va sans dire que l’avortement ne pose aucun problème à un vieil anarco-libertaire. À rebours, les disciples de l’État, les croyants, tous ces dévots nourris à l’altruisme, au sacrifice de soi au profit d’autrui et qui font l’alpha et l’omega de la société en lui asservissant l’individu d’une manière nécessairement totalitaire, tous ces catéchèses de la philanthropie…, dis-je, auront bien des difficultés à justifier de l’avortement en toute honnêteté intellectuelle.


[1] Lettres édifiantes, p.124 (Recueil jésuite).

[2] Malthus, Essai sur le principe de population, Éd. GF – Flammarion, trad. P. & G. Prevost, Volume I, Paris 1992, pp.227-228.

[3] Tocqueville, De la Démocratie en Amérique, Éd. Gallimard, coll. La Pléiade, vol. Œuvres vol II, Paris 1992, pp.63-64.

[4] C.E.D.H., A. B. C. c. Irlande, 16 décembre 2010, §214.

[5] C.E.D.H., Vo c. France, 8 juillet 2004, §77.

[6] Ancien Testament, L’Exode, XXXII-27&28.

[7] Malthus, Essai sur le principe de population, Éd. GF – Flammarion, trad. P. & G. Prevost, Volume II, Paris 1992, p.206.

 

Stéphane Braconnier

Stéphane Braconnier fit ses études de philosophie à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, avant une courte expérience dans le journalisme. Partant vivre en Corse, il fit son droit à l’Université Pascal Paoli et se lança dans l’entreprenariat. Il écrivit trois recueils de poésie intitulés respectivement Testostérone, L’Évasion sensuelle et Coup de pied dans la fourmilière, publiés aux Éditions Amalthée. Depuis 2013, a été est professeur de philosophie dans l'académie d’Ajaccio, puis de Nantes.

 

 

Commentaires

M. Braconnier aime bien titiller, je vois.
Je le remercie d’avoir apporté un certain nombre de détails que je trouve importants dans ce dossier, notamment sur la manière dont la Cour Suprême des U.S. poursuit une politique qui appauvrit l’autorité territorial (et totalisante…) du gouvernement fédéral sur la gouvernance des états individuels. Cette politique est en cours depuis de longues années. (Mais n’oublions pas le poids des traités supra-nationaux qui régissent le commerce, tout de même…)
Je le remercie de m’avoir appris un certain nombre de choses dans sa polémique.
J’ai déjà remarqué, comme lui, les connivences entre certains milieux intellectuels français, et américains, surtout dans les milieux universitaires, me semble-t-il, et je me suis interrogée sur le sens de ces connivences qui ont pour résultat de pousser le Français fréquentant ces milieux à s’imaginer qu’il n’y a pas de différences fondamentales entre les républiques ? démocraties ? françaises et américaines. (Déjà le fait qu’on emploie à tort et à travers les mots « démocratie » et « république » est lourd de conséquences, et traduit une confusion néfaste dans les têtes.) C’est une erreur fatale qui provient de trop de bavardages HORS SOL sur Internet.
Mais cette alliance franco-américaine est, historiquement, de très longue date, et remonte au-delà de la guerre d’indépendance coloniale où le gouvernement français a bien voulu défendre… les opprimés, et sur le dos des Anglais, ennemis héréditaires, de surcroît.
Il y a néanmoins quelque chose dans toute cette affaire qui me chagrine :
Fut un temps où l’Homme occidental n’était pas soumis à une caste de prêtres pour vivre sa vie, procréer, naître, mourir. (Les prêtres n’étaient pas les mêmes, mettons… et leur champ d’action n’était pas le même.) Les femmes… entre les mains d’autres femmes mettaient au monde, obtenaient leurs plantes pour avorter, sans l’intrusion d’un… homme de science pour « garantir » les conséquences. Sans non plus battre le tambour de lois, et d’institutions.. publiques pour les défendre. Sans mettre leur foi dans un légalisme qui a ses limites et ses inconvénients.
Pourquoi continuer à fermer les yeux sur le fait que l’édifice médico-scientifique s’est constitué en prêtrise pour statuer sur ce qui constitue une bonne pratique aux yeux de la société ? Qu’il nous prêche.. une nouvelle morale ? Qu’il a la prétention de dicter, et de déterminer notre condition humaine, même ? Pourquoi non seulement fermer les yeux pour l’avortement, mais étendre les pouvoirs de la prêtrise médicale à d’autres champs de notre condition humaine ? (la mort)
Et parler après de la… « liberté de choisir » ??
Comme quoi, on se bagarre pour sortir d’un… esclavage (ou d’une église ?) pour se trouver dans un(e) autre…
Comment en est-on arrivé à accorder autant de pouvoir (et là où il y a pouvoir, il y a… domination, pour employer un mot qui a cours à l’heure actuelle) aux médecins dans des institutions qui ressemblent de plus en plus à des institutions… d’Etat ? (L’épisode Covid a transféré le pouvoir des médecins… libéraux vers l’Etat à une grande échelle, mais c’était déjà en cours.)
Je maintiens que les femmes ont consenti librement à aliéner… leur propre pouvoir, et droit de décider en dehors du regard de la société et de ses institutions officielles.
Elles l’ont fait en écoutant les sirènes de la sécurité.
En ce moment, les sirènes de la sécurité fonctionnent en haut parleur 24h/24, et pas seulement par rapport à ce dossier.
Il se pourrait bien que j’ai déjà du retard sur ce dossier : l’hôpital ne se porte pas bien, car notre foi dans notre propre… charité vacille.
Nous passons notre temps à osciller entre le désir d’être des dieux ? ou des bêtes, en mettant le cap sur Scylla dès qu’on atteint Charybde.
Que disais-je ? La condition humaine, en somme…

par Debra - le 4 juillet, 2022



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