Philosophie et coaching : que faire avec le réel ?
ANALYSE : Il y a des points de convergence entre la philosophie et le coaching, estime Diego Torraca de Carvalho. Pour ce spécialiste du coaching et de Merleau-Ponty, les deux disciplines, malgré leurs différences, obéissent à une certaine logique du faire. Le monde posé dans toute sa réalité devient le matériel sur lequel agir par nos concepts, nos relations ou nos corps.
Diego Torraca de Carvalho est doctorant en Philosophie à l’Université Panthéon-Sorbonne. Sa thèse de doctorat, réalisée sous le direction de Jocelyn Benoist, porte sur « le problème d’autrui dans et après la phénoménologie de Merleau-Ponty ». Il est également consultant pour Linkup Coaching.
Nombreux articles et ouvrages développent les rapports soit nécessaires soit contingents entre le coaching et la philosophie. La discussion incessante est tout à fait valable pour au moins deux raisons essentielles. D’un côté, en termes historiques, le coaching est une discipline en pleine construction théorique, d’où la nécessité d’une quête de ses fondements. D’un autre côté, la philosophie peut se prêter à une analyse systématique et légitime de cette discipline, tout en mettant en œuvre sa capacité épistémologique à problématiser les sciences humaines. Dans cet article, nous essayerons de tracer les points de convergence les plus généraux entre le coaching et la philosophie, ainsi que leur distinction, sans pour autant pousser l’analyse jusqu’à son épuisement.
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La discussion ne doit pas se restreindre à la formule «le coaching est-il la philosophie ?». Irrémédiablement, l’équivalence définitive entre ces deux disciplines serait insensée, puisqu’elles sont issues de processus historiques distincts. Le coaching se prétend une discipline fondée sur une certaine transversalité des sciences humaines et sociales, y compris la philosophie, tandis que la philosophie ne se fonde pas sur cette intersection, mais sur une méthodologie autonome qui repose sur une forme de questionnement propre, à savoir le problème philosophique.
Cependant, cette distinction n’invalide pas les points de convergence revendiqués par le coaching vis-à-vis de la philosophie. Au contraire, la conscience exacte de cette distinction est l’une des raisons pour lesquelles le coaching parvient à se situer de façon autonome dans le champ des sciences humaines. L’exemple le plus prenant de leur rapprochement théorique est le lien établi entre le coaching et la maïeutique socratique. La technique du philosophe vise, par le moyen du questionnement, à réaliser un «accouchement» de l’esprit, dans le sens où celui qui est questionné arrive à trouver la vérité par ses propres moyens. Ce processus est appliqué de façon nécessaire, quoique non unanime, par divers coachs dans leur relation avec le coaché. Les résultats concrets et satisfaisants tirés de cette expérience sont déjà suffisants pour montrer que le lien avec cette technique est tout à fait légitime. Autrement dit, si son application est réussie, c’est justement parce qu’elle est fidèle au modèle théorique sur lequel elle s’appuie.
« Quoi faire avec la réalité qui est là ? »
Cela dit, il est important donc de comprendre dans quelle mesure le coaching se distingue de la philosophie. Cette distinction nécessaire, au lieu d’éloigner ces deux disciplines, va les rapprocher d’une certaine façon.
Si nous considérons que la méthodologie philosophique est essentiellement la maïeutique socratique, la distinction entre le coaching et la philosophie ne pourrait pas avoir lieu. Telle que la technique du philosophe, le rapport entre le coach et le coaché met en œuvre une forme de questionnement qui est requise en tant que moyen pour atteindre un objectif. C’est-à-dire que, dans sa pratique, le coach fait appel à un inventaire de questionnements dans le but pragmatique d’arriver à un résultat optimal vis-à-vis de la demande de celui qui est coaché. Le questionnement est ici la forme déguisée d’un processus qui cherche à atteindre une «réussite» ou une «évolution» dans une logique de la performativité. Cela touche à l’idée de «développement» personnel et collectif ou celle d’un changement pragmatique presque mesurable selon les objectifs posés de façon explicite. Si la philosophie considérée en termes socratiques ne peut pas être distinguée de la pratique du coaching, ce qui va caractériser cette distinction essentielle est le questionnement philosophique qui dépasse celui de la maïeutique socratique.
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La distinction, subtile mais fondamentale, tient au fait que cette idée de «performativité», différemment du coaching et de la technique de Socrate, ne définit pas toute forme de philosophie. Le questionnement philosophique, à savoir le problème posé, se développe surtout et essentiellement, non en tant que moyen, mais en tant que fin en soi. Il est primordialement une fin en soi parce qu’il n’a pas besoin d’aboutir à un résultat pour que la philosophie puisse exister en tant que telle. Logiquement, une philosophie sans «solution», ou une philosophie non «performante», est toujours une philosophie, tandis qu’une philosophie sans un problème posé cesse de l’être. Autrement dit, le seul questionnement est suffisant à la philosophie, même si cela peut éventuellement s’avérer embarrassant.
L’utilisation du terme «poser» n’est pas anodine quand il s’agit d’un problème philosophique. Ce terme renvoie à la fois à une notion de temporalité et de réalité. En ce qui concerne la temporalité d’un problème philosophique posé, il s’agit du geste selon lequel le mouvement réflexif s’arrête face au dévoilement d’un paradoxe. De façon métaphorique, le problème est le contre-temps dans une partition de musique suivi d’un silence éloquent : et maintenant, comment donner suite à la mélodie ? Cette temporalité discursive du problème en philosophie doit nécessairement être suivie d’un rapport avec la réalité. Pour que le problème soit posé, même dans son acception la plus abstraite, il est nécessaire qu’il établisse une liaison avec un fait établi dans le monde. Par «fait», nous comprenons tout ce qui est circonscrit dans une réalité contextualisée, spécifique et saisissable. La «circonscription» d’un fait, donc son abstraction conceptuelle, n’est possible que parce que le fait est là. Il compose la réalité du monde.
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Cette réalité nous invite, dans le contexte philosophique ou dans le contexte de la vie elle-même à une action. Nous sommes ici dans une logique du faire, dans laquelle le monde posé dans toute sa réalité éclatante devient le matériel sur lequel nous agissons à travers nos concepts, nos relations, nos corps etc. La démarche ici suggérée vis-à-vis de la réalité n’est pas éloignée de celle d’un artiste face au matériel auquel il va imposer une forme ou, inversement, ne rien lui imposer. Son paradoxe essentiel est celui du «quoi faire de tout cela ?». La philosophie, à travers ses concepts, n’est pas si différente en termes de réalisation : en fin de compte, elle se demande quoi faire avec la réalité qui est là.
Sur ce point, le coaching rejoint la philosophie, car il se penche, lui aussi, sur les faits d’une réalité qui est par définition le terrain des réalisations. À sa manière, il va agir sur les faits du monde pour essayer de les changer. La différence avec la philosophie, et là nous revenons à l’idée de «performativité», est que le coach agit comme un artiste qui poursuit une forme déterminée, à savoir ce qui est attendu par le client dans le cadre de l’accompagnement. La philosophie, au contraire, peut agir, si elle le souhaite, comme un artiste aveugle, sans but, sans art, avec le seul paradoxe comme matériel de travail.
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Diego Torraca de Carvalho est doctorant en Philosophie à l'Université Panthéon-Sorbonne. Sa thèse de doctorat, réalisée sous le direction de Jocelyn Benoist, porte sur "le problème d'autrui dans et après la phénoménologie de Merleau-Ponty". Il est également consultant pour Linkup Coaching.
Commentaires
D’un côté la philosophie, de l’autre la direction de conscience. Les deux affrontent une réalité qui arrive et qu’elles tentent de « comprendre » : où est le problème ?
La philosophie s’en tient à la position du problème et la direction de conscience doit proposer, en outre, des actions, des exercices.
Les sophistes « donnent » des techniques de maîtrise. Socrate apprend à poser un problème et à aller de problème en problème jusqu’à la question du « bien ».
par Gérard - le 9 mars, 2018
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