Peut-on lire Kant à la plage ?
LECTURE : La vie est trop courte pour passer à côté de Kant, surtout lorsque c’est la peur de la complexité ou de l’ennui qui freine le lecteur. Audrey Jougla conseille vivement la lecture du dernier livre de Francis Métivier, Kant à la plage, une introduction précise et plaisante à la pensée du plus connu des philosophes allemands.
Diplômée de Sciences Po Paris et de l’Université Paris-Nanterre, Audrey Jougla enseigne la philosophie au lycée. Spécialiste d’éthique animale, elle a publié Nourrir les hommes : un dictionnaire (éd. Atlande, 2009), Profession : animal de laboratoire (éd. Autrement, 2015, Prix Roger Bordet 2016) et Animalité : 12 clés pour comprendre la cause animale (éd. Atlande, 2018).
S’il est un philosophe qui semble condenser paradoxalement la méconnaissance de son œuvre et la popularité toute aussi importante de son nom, c’est bien Kant. Spontanément cité par le quidam qui entend parler de philosophie ou l’élève de terminale qui débute son année, Kant souffre pourtant d’un déficit flagrant de maîtrise ou de connaissance de ses plus grands concepts de la part du grand public. Austère, ardue, complexe : ainsi son œuvre est-elle rapidement décrite par les amateurs de philosophie ou les étudiants, à qui il aura laissé un souvenir pour le moins amer.
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Proposer un ouvrage intitulé «Kant à la plage» suprend alors, et l’on ne peut qu’être admiratif de la gageure que représente une telle ambition. Peut-on prétendre populariser Kant ? Le rendre accessible en 174 pages ? Loin d’être acquise aux ouvrages de vulgarisation de la philosophie, et redoutant un appauvrissement de la pensée lié à la visée d’accessibilité qui est la leur, j’ai découvert avec bonheur cet ouvrage, non dénué d’humour et d’une pédagogie évidente.
«Voici tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Kant sans jamais avoir osé le demander», indique la quatrième de couverture. C’est bien ce que l’on saluera ici : oser savoir et ne pas trembler devant l’édifice kantien. L’auteur nous propose une approche des grandes clés d’entrée dans l’œuvre de Kant : la critique de la raison pure, la loi morale, l’autonomie de sa pensée, la paix perpétuelle, mais aussi l’anthropologie et l’esthétique.
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Or, ce petit livre réussit un double pari : convenir à tout lecteur, et ce quelle que soit sa culture initiale, et lui donner un aperçu de la cohérence de la pensée kantienne avec une facilité déconcertante. Expliquer le transcendantal et réussir à incorporer le tableau des douze catégories avant la trentième page : voilà qui relève de l’audace, mais surtout d’un sens pédagogique bien ficelé. Pour les néophytes, nous n’en dirons pas plus, à vous de rentrer avec facilité, cette fois, dans le système kantien.
Huit chapitres permettent de jalonner cette balade en compagnie de Kant, tous reliés entre eux avec fluidité. La liberté et l’autonomie se profilent alors comme clé de voûte de la pensée abordée, laquelle nous apparaît avec un recul que peu de lecteurs, avertis ou non, ont ou auront sur le philosophe. Le mensonge, la dignité, le problème du mal, la guerre, le génie : autant de sujets et de questions qui parleront à chacun et sur lesquelles Kant apporte un éclairage plus que nécessaire pour le citoyen et la personne que nous sommes.
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Le ton de l’auteur est enjoué, le sourire du lecteur présent, et les illustrations agrémentent ce parcours plaisant. Mais qu’y trouveront les professeurs chevronnés ? Justement, et c’est là un deuxième usage de cet ouvrage : un petit manuel à recommander chaudement aux élèves avant la rentrée de terminale, et sur lequel entrevoir des liens ou des manières de présenter certaines séquences de cours. Les explications de la paix perpétuelle et du sens de l’histoire sont ainsi claires et succinctes, avec une cohérence dans leur articulation aux autres concepts.
Certains pourront déplorer ne pas trouver une explicitation des noumènes, ou encore une mention du devoir que nous avons de développer nos talents, ou du devoir, aussi, qu’a l’homme de bien traiter les animaux, et ce, avant tout pour lui-même… Mais c’est là être un peu tatillon car il va sans dire que l’auteur rend agréable et joyeuse cette utile lecture, qui est bien plus une promenade avec Kant, sur le bord d’une plage. La vie est trop courte pour passer à côté de Kant, surtout lorsque c’est la peur de la complexité ou de l’ennui qui freine le lecteur aux yeux embués de préjugés. Ce livre s’avère aussi nécessaire pour votre été que votre crème solaire, mais pour vous protéger des rayons de l’ignorance.
Pour aller plus loin : Francis Métivier, Kant à la plage, éd. Dunod, 2019.
Diplômée de Sciences Po Paris et de l’Université Paris-Nanterre, Audrey Jougla enseigne la philosophie au lycée. Spécialiste d’éthique animale, elle a publié Nourrir les hommes : un dictionnaire (éd. Atlande, 2009), Profession : animal de laboratoire (éd. Autrement, 2015, Prix Roger Bordet 2016) et Animalité : 12 clés pour comprendre la cause animale (éd. Atlande, 2018).
Commentaires
L’idée est tentante, certes…On peut même croire qu’on fait le bien :
Vulgariser Kant…
Je n’ai jamais lu Kant, et je ne suis pas prête à ouvrir même un livre de vulgarisation sur Kant, paradoxalement.
Mais ça ne m’empêche pas d’avoir un certain respect pour un monsieur qui a passé beaucoup de temps à penser, à organiser/généraliser son expérience du monde.
Il me semble qu’il y a un problème avec les livres de vulgarisation: ils donnent l’impression de savoir (beaucoup trop), et nuisent à l’extrême humilité que Monsieur Tout le Monde.. devrait cultiver devant l’abîme de son (notre) ignorance. Ils alimentent les discussions de… salon qui n’ont même plus lieu dans des salons maintenant !
Surtout, ils se présentent comme des solutions de facilité à une époque qui a besoin de tout sauf la facilité, et le confort. Et, sur cette pente, ils encouragent la paresse, le mépris, l’ignorance, un ensemble d’attitudes qui nuisent terriblement à l’appréciation, pour pas dire la compréhension de Kant.
Cela fait un certain temps que les étudiants, et les élèves compulsent les livres « critiques » pour se faire expliquer les grands auteurs… au lieu de lire les grands auteurs.
Cela crée une civilisation de oui dire, avec des spécialistes.. prêtres qui font l’intermédiaire entre la culture et le grand public, et finissent par confisquer un savoir qui relève… du musée pour le grand public. (Le musée n’est pas un suprême bien pour la culture…)
Les grands auteurs en souffrent, qu’ils soient philosophes ou littéraires, d’ailleurs.
Le public aussi, à sa manière. Et la culture, elle en souffre terriblement.
Hier soir, j’ai ouvert un livre de Jacqueline de Romilly sur Alcibiade, en autodidacte. Cette grande dame a pris le parti de faire de la vulgarisation… en citant les textes, que les textes, et en élaguant un peu de noms propres, et de détails qu’elle considère être l’affaire de spécialistes. Je crois que ça va tenir la route, parce que Mme de Romilly était quelqu’un d’exigeante avec ses lecteurs.
Les paragraphes ci dessus me renvoient à mon expérience de la télévision, en tant que personne l’ayant connue… à ses débuts, et constatant le mépris fulgurant du peuple, et des spectateurs, qui s’est insinué petit à petit dans un laps de temps très court, d’ailleurs. A ses origines, la télévision ne fut pas… vulgaire. Ça fait rêver, n’est-ce pas ? Et ça fait penser…
par Debra - le 19 août, 2019
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