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PMA pour toutes : une avancée, mais vers où ?

25/11/2019 | par Hubert Carron | dans Politique | 5 commentaires

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BILLET : A propos du vote du projet de loi de bioéthique, le philosophe Hubert Carron décrit avec inquiétude le caractère irrésistible de la «technoscience» qui par avance a décidé de tout sans que personne n’y puisse mais. Le droit et la politique ne peuvent que suivre.


Agrégé de philosophie, Hubert Carron est professeur honoraire de classes préparatoires au lycée Masséna de Nice. Il est également navigateur.


En septembre dernier, à l’heure où s’ouvrait à l’Assemblée Nationale la discussion sur le projet de modification des lois bioéthiques,  l’Académie Nationale de Médecine (ANM), n’écoutant que son courage, a osé aller à contre-courant du large consensus des «spécialistes» et des «experts», chargés de préparer le terrain avant même tout débat. La principale modification du texte porte, on le sait, sur l’élargissement du droit à la Procréation Médicalement Assistée (PMA) à toutes les femmes désireuses d’avoir un enfant, alors qu’elle était  réservée exclusivement aux femmes stériles. Il s’agit ainsi de reconnaître juridiquement l’existence des foyers monoparentaux ; mais il s’agit surtout de satisfaire la revendication des associations de couples de lesbiennes pour la reconnaissance de leurs foyers homoparentaux. Autrement dit, il ne s’agit pas simplement d’accorder les mêmes droits aux enfants en général, qu’ils soient adoptés par les couples homosexuels ou issus des couples hétérosexuels, mais il s’agit bel et bien de créer pour les couples lesbiens un droit à l’enfant.

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Le code civil admettra désormais l’existence d’enfants élevés par deux mères, quel qu’en soit au demeurant le caractère physiologiquement improbable. Au-delà de la pratique médicale, ou dite telle, ce n’est donc rien moins que la définition de la maternité qui se trouvera ainsi subrepticement transformée. Dans la foulée, c’est encore l’acceptation de l’effacement progressif du rôle du père, réduit in fine au rôle de «géniteur» ou de «donneur» plus ou moins encombrant – le projet de loi garantissant quand même le droit à la levée de «l’anonymat sur la filiation», reconnaissant autrement dit une paternité entendue comme simple «transmission d’un bagage génétique». L’enfantement n’est plus nécessaire pour définir la maternité, il suffit en revanche d’un don de sperme pour assumer la paternité. Devant un projet aussi anodin, et face à l’unanimité des avis favorables de l’éminent Conseil de l’Ordre des médecins (CNOM), du Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE), du Conseil d’État, de la Commission d’Auditions Parlementaires,  bravant le ridicule et les quolibets, l’Académie Nationale de Médecine s’est permis d’émettre une réserve sur «les risques pour le développement psychologique et l’épanouissement de l’enfant» qu’entraînerait une telle modification de la loi, évoquant une véritable «rupture anthropologique». Une telle impudence, on le devine, s’est vite fait châtier…

La ministre de la santé, Agnès Buzyn, retenant à peine un sourire amusé ou condescendant, a eu beau jeu de rappeler que près de deux millions d’enfants vivaient déjà dans des foyers monoparentaux ou recomposés, sans qu’il y ait – les nombreuses études internationales semblent le démontrer –  de difficultés particulières pour leur développement psychologique. De même Jean-Louis Touraine, député LREM du Rhône et rapporteur du projet de loi bioéthique, a répondu aux réserves émises par l’Académie nationale de médecine (ANM) : on le sait et on vous le répète à l’envi, les enfants élevés dans les foyers monoparentaux ou homosexuels vont aussi bien que les autres. Et quand les enfants vont bien, tout va bien… n’est-ce pas ? Sans surprise, le projet de modification de loi ouvrant la PMA à toutes les femmes a donc été voté par l’Assemblée Nationale après deux jours de débat sans retentissement, avec 55 voix pour, 17 contre, et 3  abstentions – ce qui constitue effectivement l’exemple manifeste d’une belle «avancée démocratique».

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Mais qu’est-ce qui «avance» au juste ? Les «libertés» ? Ou le caractère irrésistible de la «technoscience» qui par avance a décidé de tout sans que personne n’y puisse mais ? À moins peut-être que les deux ne soient liés ? L’accroissement des possibilités d’action sur la matière et sur la vie générées par le «progrès scientifique», n’engendre-t-il pas à son tour un besoin de régulation juridique que la loi a pour fonction de satisfaire ? Pourtant, dans cette «avancée» du droit, il semble que celui-ci ne puisse que courir constamment après les nouveaux modes d’action que, dans tous les domaines, la technoscience réalise factuellement.  Dès lors le droit ne régule plus la technoscience dans la mesure où celle-ci a déjà détruit toute référence transcendante susceptible de questionner la nécessité de son développement : la technoscience vaut en soi et pour soi comme un principe inconditionné. La pensée juridique ne se fonde plus, depuis belle lurette, sur l’hypothétique idée d’une «loi naturelle», tandis que les références traditionnelles sont désormais largement brouillées. Puisque la science avance, tout finalement sera progressivement permis. Le droit  dès lors abandonne de plus en plus sa fonction normative pour servir d’outil sociétal propre à accompagner l’avancée déroutante des pratiques et aménager progressivement aux yeux du grand nombre les revendications particulières de certains groupes sociaux. Chacun sait que derrière la PMA, destinée à répondre à la pression des associations lesbiennes, se profile déjà la GPA, qui rétablira «l’égalité» entre couples homosexuels féminins et masculins au nom de la non-discrimination. L’une comme l’autre étaient d’ailleurs déjà préparées par la loi sur le mariage homosexuel.

Il se peut que les enfants des couples homoparentaux ou des mères célibataires soient parfaitement heureux, car élevés dans l’amour. Il se peut aussi que ces foyers se heurtent à autant de difficultés que les autres. Si cependant les «avancées démocratiques» ne sont que la répercussion de l’avancée sans retenue d’une technoscience incontrôlée, le simple citoyen n’est-il pas en droit de demander : quel est au juste le projet d’une telle «science» ? Acceptera-t-on bientôt l’intervention sur le génome humain, l’amélioration du QI ou le ralentissement du vieillissement par manipulation génétique, le clonage, comme cela semble déjà se profiler à travers les recherches menées en Chine ou aux États-Unis ? Quel monde nous prépare en toute impunité une technoscience qui n’a pour vocation que d’accroître la puissance du faisable de telle sorte que dans une telle «avancée» tout ce qui est rendu faisable soit finalement fait ? 

 

Hubert Carron

Agrégé de philosophie, Hubert Carron est professeur honoraire de classes préparatoires au lycée Masséna de Nice. Il est également navigateur.

 

 

Commentaires

Merci pour ce billet courageux.
Je crois que quiconque voudrait.. PENSER à une époque où la discrimination est visée (alors que « discriminer », c’est pouvoir faire des… différences, et pour pouvoir penser, il FAUT pouvoir faire des différences) a du courage devant le rouleau compresseur qui vise à anéantir… nos différences.
Pour ceux qui ont du courage.. ET DE LA MEMOIRE, car la litanie, et les… sacrifices au Dieu PROgrès n’entendent aucune possibilité d’un REtour en arrière, ou une regression, il est indispensable de voir que nous nous trouvons en présence d’un phénomène… religieux…pour nos contemporains… Un phénomène religieux avec des aspirations universelles.. donc, totalitaires. Et tant pis si nos contemporains ne veulent pas reconnaître l’étendu de leurs… CROYANCES et de leur… foi (mauvaise, à mes yeux). Ce phénomène religieux a une histoire, une origine, et il n’est pas.. nouveau, même si notre conscience croule sous l’ampleur de son poids en ce moment.
Dans une autre réponse ici, j’ai fait le lien nécessaire et obligatoire entre progrès/méthode scientifique et technologique, judiciarisation de la société, légalisme à outrance, et démocratie en tant qu’organisation sociale (et non pas politique).
Je rappelle pour ceux qui ne le sauraient pas ici que les… « avancées » prônées par les gouvernements de gauche ces dernières années en France proviennent de la colonisation américaine dans les esprits. Ces idées viennent de quelque part, et si elles trouvent une certaine logique… dans la révolution française (et au-delà, même dans les Evangiles, (incroyable, mais vrai…), à notre époque, elles viennent des Etats-Unis.
Je rappelle pour certaines personnes qui pourraient l’ignorer ici que les milieux… du progrès (américain), les milieux… qui marchent inexorablement en avant cherchent à élargir le droit individuel à la femme à l’avortement en repoussant de plus en plus loin les délais pour permettre aux femmes… avec le « consentement » du corps médical d’avorter à six mois de grossesse, et au-delà… (Depuis la Renaissance, l’enfantement est entre les mains du corps médical.. appelons ça un progrès. Avant… le corps médical était exclusivement masculin, mais maintenant…il y a des femmes qui exercent AUSSI le pouvoir… médical sur l’enfantement, et le corps des femmes…un progrès ??)
Bon nombre de mes amis français ignorent cela.
Or… que vaut un droit à l’enfant POUR TOUS, dans un tel contexte ?
Y aurait-il une petite contradiction entre… le droit A l’enfant et… le droit DE l’enfant ?…S’agit-il d’avoir des droits, ou s’agit-il de s’octroyer DES POUVOIRS ?
A des moments où je suis tout près du désespoir je me dis que… il y en avait un qui disait à un moment très critique… « PERE, PARDONNE-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font ».
Amen. Rien de nouveau sous le soleil.
Comme dit, à sa manière, M Carron, nous ne savons pas ce que nous faisons… Mais comme je le dis parfois sur ce site, je sais que… les dieux (y compris le PERE) sont derrière la scène, en train de.. rire ? de notre colossal hubris.
Il y a des combats titanesques pour détruire le sacré dans la conscience de l’Homme moderne, mais le problème des dieux, leur.. image en nous, et POUR nous, ne fait que se déplacer.
On a les dieux qu’on peut…
Ce qui me chagrine le plus dans la religion du progrès, c’est le colossal manque d’humilité chez ses adeptes, dans l’ensemble.
La logique du sacré chez l’Homme dit bien que l’orgueil vient avant la chute…Je crois que cette observation-ci a valeur de.. loi naturelle…

par Debra - le 25 novembre, 2019


merci pour cette mise au point . Je suis sensible en ce qui concerne le sens du sacré, ayant beaucoup travaillé sur ce thème..

par claudine.benot@bluewin.ch - le 25 novembre, 2019


Mr carron aborde plusieurs thèmes qui interrogent le fait désormais légalisé de la PMA pour tous. Le principal est le « contrôle démocratique » ou plutôt son fonctionnement actuel délégué à une assemblèe désertèe par la majorité des élus . Il y a aussi l’interrogation sur le pouvoir avec une belle absence d’éthique ou de scrupules qu’exerce la « technoscience » sur la société ou le devenir humain en pratiquant le « fait accompli ». Enfin sur la question spécifique de la PMA quelles évolutions et dérives vont apparaître en conséquences de sa légalisation. Les droits de l’enfant face au droit à l’enfant, que pèsent-ils désormais ? Pendant que la Chine et certain pays à l’image de la Corèe du Nord dérivent dans un monde type « 1984 » Orwellien notre Occident s’oriente de plus en plus vers le « Meilleur des Mondes »décrit par Wells.
L’inquiétude face à ces devenirs doit nous saisir et motiver notre vigilance critique pour justement protéger nos générations futures.

par Abate G. - le 26 novembre, 2019


Il devient en effet difficile d’exprimer quelque réticence face à ces innovations sans se faire ridiculiser ou traiter de réactionnaire, voire pire. Il est même mal vu d’observer l’ampleur du changement anthropologique en cours – on est implicitement priés de n’y voir qu’une « avancée », comme vous dites, bénigne et allant de soi.

L’admissibilité des techniques scientifiques s’impose presque sans débat, parce qu’elle va de pair avec l’individualisme exacerbé et l’hypertrophie d’une certaine conception de l’égalité… le tout pour le plus grand bien d’un système économique parfaitement installé. Dans cette vision, peu et mal exprimée mais très puissante, nous voilà en route pour un monde de consommateurs égaux et interchangeables, où le désir sexuel et le désir d’enfant sont des désirs comme les autres. Peu à peu, on trouvera normal qu’on puisse »faire faire » un enfant quand on l’aura décidé, seul ou à deux – et pourquoi pas à trois ou quatre, c’est plus facile quand on travaille… L’idée même de filiation et d’origine deviendra alors désuète puisque la « parentalité » ne sera plus – pour sacrifier à un vocabulaire révélateur – qu’une affaire d’investissement affectif.

Ce qui paradoxalement n’empêche pas les généalogistes d’être débordés et les scientifiques, de chercher en nous des traces ADN remontant à Neanderthal…

Face à tout cela, le mal-être de tant de personnes crie le besoin de sens. Une réaction se fera forcément jour, mais quand et comment ?

Tout cela n’a finalement pas grand chose à voir avec le respect dû à toutes les personnes, entre autres aux homosexuels et aux transgenres. Et aux handicapés… Et aux vieux… Et aux inaptes au travail… Tous également dignes dans leur identité propre, mais pas tous équivalents et autocentrés.

par Diane - le 29 novembre, 2019



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