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Nos modèles sont-ils des héros ?

30/04/2022 | par B. Massoubre, C. Massoubre, F. Giraud, C. Boulliat | dans Politique | 2 commentaires

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ANALYSE : Tous les quatre soignants et passionnés de philosophie, les docteurs Bernard Massoubre et François Giraud, ainsi que les professeurs Catherine Massoubre et Caroline Boulliat ont choisi de réaliser un passage en revue philosophique des hommes en bleu, en blanc, en rouge et en kaki. De plus en plus individualiste, notre société a cloué au pilori les comportements altruistes, l’ouverture aux autres. Pourtant, les héros n’ont pas disparu au contraire, les réseaux sociaux ont amplifié leur glorification, remarquent-ils.


Biologiste médical, Bernard Massoubre est pharmacien lieutenant-colonel dans la réserve opérationnelle du Service de santé des armées (SSA) et responsable de l’espace de réflexion éthique de l’hôpital d’instruction des armées Desgenettes (Lyon). Professeur agrégé de médecine, Catherine Massoubre est cheffe du pôle de psychiatrie du CHU de Saint-Etienne. François Giraud est ancien médecin urgentiste du CHU de Saint-Etienne et directeur du SAMU. Professeur agrégé du Val-de-Grâce, Caroline Boulliat est pharmacien colonel du Service de santé des Armées et cheffe de service de la pharmacie de l’hôpital d’instruction des armées Desgenettes (Lyon).


Si l’on nous demandait de donner le nom de nos héros, nous n’aurions aucune difficulté à répondre. Mais, nos choix, aussi pertinents soient-ils, n’auraient pas une valeur universelle. Ils sont liés de façon intime à une époque, à un milieu social et à notre propre sensibilité. Le héros du paysan au Moyen-Âge n’est pas celui d’un adolescent au 21ème siècle en Europe. Il sera donc essentiel de définir le héros, en tenant compte des biais et de l’emprise du temps. «Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde», disait Albert Camus. Quelle est la fonction du héros ? Existe-t-il par lui-même ou est-il une création des hommes ordinaires ? Et pouvons-nous vivre sans héros ?

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Loin de la fantasmagorie, l’héroïsme n’est peut-être pas une vertu souhaitable. Le héros ne serait pas au service des autres, mais de lui-même, dans une démarche narcissique. L’homme qui aide d’autres hommes ne doit pas se sacrifier, même au péril de sa vie. Il fait preuve simplement d’abnégation, d’une propension à aider l’autre. C’est le cas, par exemple, des membres des forces de l’ordre, des professions de santé et des soldats (du feu).

Le héros est un personnage fictif ou réel, le plus souvent phantasmé. Telle la statue, nous le plaçons sur un piédestal. Les hommes en bleu, en blanc, en rouge et en kaki ont figure humaine. Ils ont des soucis de nourrice comme les autres. Mais, à des moments essentiels, ils savent se dépasser. Ils sortent de leur zone de confort pour le bien commun. Alors, sont-ce des héros ou des modèles ?

Qu’est-ce qu’un héros ?

Le nom est formé à partir d’un mot grec herôs qui signifie «demi-dieu» ou «tout homme élevé au rang de demi-dieu». Dans Les Travaux et les Jours, Hésiode, contemporain d’Homère, rapporte comment sont apparues les races d’hommes sur la terre, les cinq âges de l’humanité : l’âge d’or, l’âge d’argent, l’âge d’airain, l’âge des Héros, l’âge de fer. La quatrième race est plus brave et plus juste que la précédente. Il s’agit de la race des héros, les demi-dieux. Ceux-ci mourront courageusement et Zeus récompensera les meilleurs d’entre eux en les établissant dans les îles des bienheureux aux confins de la terre (1). Le héros de la mythologie grecque n’est plus considéré comme un homme, mais pas encore comme un dieu.

La définition change aussi selon la discipline. Pour les psychologues, il est un modèle pour le développement psychique de l’enfant et un facteur d’attachement pour les adolescents. Il est une incarnation du bien pour les philosophes, et les anthropologues voient en lui une figure totémique. Il est enfin, pour chacun d’entre nous, un personnage de roman (2).

L’héroïne dans l’histoire

Pendant longtemps, le courage le dépassement de soi ont été l’apanage des hommes. Pensons aux chevaliers du moyen-âge ou à Robin des bois. Simone Weil (3) en donne la définition suivante : «Le vrai héros, le vrai sujet, le centre de l’Iliade, c’est la force. La force qui est maniée par les hommes, la force qui soumet les hommes, la force devant quoi la chair des hommes se rétracte». L’héroïne est l’équivalent féminin du héros, mais son action est soulignée plus tardivement dans notre histoire. Il est rarement permis aux femmes de sortir de leurs rôles de mère ou d’épouse.

Jeanne d’Arc libéra la France de l’envahisseur anglais au 15ème siècle. A la fin du 19ème siècle, elle est une figure patriotique populaire de gauche, et plutôt anticléricale (4). Abandonnée par le roi et martyrisée par l’Église, elle est pourtant un modèle de sainte catholique dans la seconde moitié́ du siècle. Sa canonisation, le 16 mai 1920, est saluée par les catholiques nationalistes. Pour Edouard Drumont, elle incarne la «race gauloise» contre les juifs et les métèques. La pucelle de Domrémy est revendiquée tant par la Résistance que par Vichy lors de la Seconde Guerre mondiale. Son culte nous en apprend donc moins sur sa personne que sur les rapports de force idéologiques établis au fil des ans.

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Le western Johnny Guitare (1954) est l’occasion pour le réalisateur Nicholas Ray de dénoncer le maccarthysme ambiant. L’héroïne Vienna (Joan Crawford) y est propriétaire d’un saloon. Cette femme indépendante, pas vraiment une sainte, s’oppose à Emma éleveuse obsédée par la défense de ses terres (5). En 1898, le laboratoire pharmaceutique Bayer a déposé le nom «Heroin». Il pensait que ce médicament permettrait de traiter l’addiction à la morphine, très répandue à l’époque, sans entraîner d’accoutumance (6). Autre origine possible du nom : des résultats scientifiques ont montré que la diacétylmorphine (heroin) réduisait la toux et favorisait l’expectoration. Elle a été décrite alors comme un «médicament héroïque» (7). Cependant, l’héroïne (la drogue) n’a pas donné ses lettres de noblesse à l’héroïne (la femme) car l’antitussif deviendra un fléau au 20ème siècle (8).

Dans ses leçons d’esthétique, Hegel distingue le héros épique, le héros tragique et le héros dramatique. Le héros épique est porteur des valeurs des sociétés archaïques. Il est face à des forces extérieures dont il peut triompher. Le héros tragique est aussi au cœur de ce conflit, mais il accepte sa défaite. Écrasé́ par un destin acharné à le perdre, il trouve dans sa plainte une énergie que ne dément jamais la vitalité́ héroïque. Le héros dramatique est l’émanation d’une société́ en profonde mutation. Face à la pression du groupe, lui seul est un être de liberté́. Il peut ne manifester aucune des grandes vertus héroïques, mais il évolue dans un monde où sa volonté́ de puissance prétend, mais sans illusion, donner du sens à son action (9, 10).

La fonction du héros

Le héros nous transcende car il permet d’adhérer à des valeurs extraordinaires. Dans son article consacré aux héros et aux idoles (11), Violette Morin considère que le héros a quatre vertus : la noblesse, l’expansion vitale, l’action créatrice et l’ardeur généreuses. Ces valeurs, accessibles au simple mortel, favorise l’identification. Rien ne nous interdit d’être ou de devenir un héros. Celui-ci peut survivre aux accidents de l’histoire, recevoir de nouvelles missions, voire les cumuler.

L’étoffe des héros, tiré du roman de Tom Wolfe (12) raconte l’épopée de pilotes d’essais américains au début de la guerre froide. Le réalisateur Philip Kaufmann met en scène des hommes courageux, mais vus aussi avec leur faiblesse. En fait, le film est une dénonciation des faux-héros et du vedettariat du show-business d’Hollywood. Pour le dessinateur Will Eisner, le super-héros est l’expression d’un particularisme. «Les juifs, persécutés depuis des siècles en Europe, avaient besoin d’un héros capable de les protéger des forces obscures. Siegel et Shuster, les créateurs de Superman, l’ont inventé». Presque tous les créateurs de super-héros sont des de confession juive : Bob Kane (Batman) ; Will Eisner (Le Spirit) ; Jack Kirby (Les Quatre Fantastiques, Hulk, les X-Men) ; Joe Simon (Captain America) et Stan Lee (Spiderman).

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Pourtant, le héros tire son crédit de l’importance qui lui est donnée, c’est-à-dire de la façon dont nous relatons ses prouesses. Celles-ci sont diffusées, à un large public ou à des élites, avec des moyens de communication divers : le récit d’une épopée dans les médias audio-visuels, un article dans les journaux, le bouche-à-oreille… «Il n’y a pas de héros sans auditoire», écrivait André Malraux dans L’Espoir (13). En fait, la question «qui, comment et pourquoi fabrique-t-on des héros ?» est plus importante que de savoir «Qu’est-ce qu’un héros ?».

Le héros navigue donc entre histoire et mémoire. Qu’il vienne du monde de la fiction ou de l’histoire réelle, il est retravaillé par notre imaginaire. C’est ce que rappelle le journaliste dans le film de John Ford L’Homme qui tua Liberty Valance : «Quand la légende dépasse la réalité, alors on imprime la légende» (2). Le western est un outil magnifique pour exalter les charges de cavalerie dans l’Ouest américain. Le cow-boy véhicule des fantasmes guerriers et il incarne à lui-seul l’héroïsme militaire.

Les héros dans la cité

Quels sont les points communs entre un policier de la BRI (Brigade de recherche et d’intervention) de Lyon, un médecin du SAMU à Saint-Etienne, un pompier à Paris et un soldat en OPEX (Opérations extérieures) à Bamako ? Ils sont simplement au service de leurs concitoyens. Ils ont une mission, celle de protéger, de soigner ou de sauver. Dans leur cas, l’abnégation se substitue au commandement. Néanmoins, même si les procédés de l’héroïsation perdurent, aujourd’hui «le joueur de football tend à remplacer le soldat ou le martyr» (14). La disparition possible du héros national classique serait l’annonce de la transformation du lien qu’entretient l’individu avec sa communauté politique. Ce changement de paradigme ne ternit pas l’image, la représentation imagée, des hommes en bleu, en blanc, en rouge et en kaki. Ces héros ne sont pas des êtres désincarnés. Ils vivent au milieu de nous, ils ont une famille et des enfants. Nous sommes admiratifs de leurs actions car ils ont un lien fusionnel avec les victimes potentielles que nous sommes. La pandémie du COVID, les tensions internationales et nationales nous ont fait prendre conscience que notre société a besoin d’eux.

L’époque est à la glorification de la victime. «Le mot de victime ne désigne plus une personne abimée par l’existence, mais raconte désormais comment un blessé se bagarre pour se remettre à vivre. La blessure devient glorieuse» (15). La sacralisation lui permet d’accéder à lumière alors que le héros devient anonyme. L’effet collatéral de l’héroïsme, quelle que soit l’époque, est une valorisation de soi. Par le sacrifice ultime, elle confère au héros ces lettres de noblesse. Ce travers n’échappe pas à la victime-héros. Cyrulnik nous met en garde contre le «candidat-héros», «celui qui, ayant une mauvaise image de lui-même, manifeste un courage morbide pour réparer l’image que les autres ont de lui». Dans ce cas, pour Fleury, l’individu est livré à une quête narcissique de soi-même et en demande de reconnaissance sociale (16). Il ne faut pas oublier les discrets, les humbles qui ne veulent pas de reconnaissance. Ils ont fait ce qu’il devait faire, ni plus ni moins. C’est le cas des Justes parmi les nations comme les paysans huguenots du Chambon-sur-Lignon, de Geneviève de Gaulle-Anthonioz, d’Arnaud Beltrame et de tous les sans-grades.

Héroïsme ou courage ?

Les héros que nous mentionnons ne demandent rien. Pour leur bravoure, ils recevront une médaille d’honneur ou la croix de la valeur militaire. Si la situation empire, ils seront nommés à titre posthume au grade de chevalier de la Légion d’honneur. Mais ces héros le sont-ils vraiment au sens conventionnel ? Sans doute, mais une émotion la peur, et une vertu le courage, peuvent leur faire défaut. Pourtant, le dictionnaire de l’Académie française définit le héros comme «celui qui se distingue par une valeur extraordinaire, un courage hors du commun». Pierre Terrail de Bayard n’était-il pas un «chevalier sans peur et sans reproche» ?

Les hommes donnés en exemple dans cet article font preuve de courage, mais ils ne se considèrent pas comme des héros. Ils ne veulent pas non plus être vus comme tels. Le médecin du SAMU considère qu’il est tout sauf cela. Il sait qu’il bénéficie d’une logistique importante, d’un travail en équipe au recours facile et rapide. Les situations vécues sont extrêmes et elles sont donc acceptées comme fatales. Cela ne veut pas dire que ces professionnels sont insensibles à la reconnaissance de la nation. Ils sont fiers d’avoir une image positive dans les médias. Leur égo est flatté parfois et de façon transitoire.

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Celui qui ne connaît pas la peur n’est pas un héros, mais un inconscient. En sous-estimant le danger il met sa vie, et celle des autres, en péril. Cet homme n’a pas notion de l’obsolescence de sa condition terrestre. Il réfute sa stature humaine pour n’être qu’un arrogant ou un robot. En 1914, selon l’image d’Épinal, les poilus partaient à la guerre la fleur au fusil, mais aussi la peur au ventre. Lors du passage d’un convoi en OPEX, au Mali ou au Niger, les véhicules peuvent «sauter» à tout moment sur des IED (Improvised Explosive Device, Engins explosifs improvisés en français). Quand la BRI se rend à 6 heures du matin en banlieue, elle sait que c’est celui qui tire le premier qui dormira le soir dans son lit. «Nier la peur, lui refuser le droit de parole, c’est prendre le risque de vaciller bien plus, un jour sans raison apparente, avec fracas» (16).

Nos héros ne sont pas des martyrs. Ce sont des hommes qui font preuve de bravoure et d’humilité. Lors de la cérémonie d’adoubement du chevalier, le parrain lui assène la collée. C’est un coup sec du plat de la main sur la nuque pour tester la résistance de l’impétrant. Puis, il lui dit : sois preux ! (c’est-à-dire sois brave). Le mot courage est ancien, il dérive du mot cœur. Il n’est pas à prendre dans le sens anatomique stricto sensu. Il fait appel aux sentiments de noblesse, à la générosité. La sémantique est importante. Le courage est guidé par un idéal : celui de servir avec son cœur.

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La pudeur habite les hommes d’action. Au 21ème siècle, le pompier ne parle pas de courage avec ses collègues. Avec eux, il exprime son désir d’action, et son vocabulaire témoigne de ses qualités téméraires, de son goût pour l’action ou de sa fierté à être présent pour un «bon feu» ou une «bonne intervention». (17). De la même façon, on dira la camarde pour parler de la mort.

Pour l’ensemble de ces acteurs, la place de l’altruisme et du sacrifice est limitée. Il serait aisé de croire qu’ils ont choisi ce métier par vocation. Pourtant, d’autres paramètres entrent en ligne de compte : le poids de l’atavisme, l’attrait pour l’aventure et les situations exceptionnelles (la volonté d’action prime la réflexion). Il y a aussi le goût de l’indépendance, une part de hasard ou tout simplement un choix par défaut.

De la nécessité des valeurs

Pour ces professionnels du soutien en tous genres, le courage n’est pas une valeur absolue.  Le métier est souvent technique, mais il ne peut exister sans l’intelligence du cœur. Leur action demande de l’empathie pour les victimes. Sinon, il serait difficile de comprendre que le médecin du SAMU parte en montagne en hélicoptère par mauvais temps. Ils ont la foi du charbonnier. Dans les cités, la BRI arrête des dealers qui gagnent en une journée ce que le policier perçoit par mois. Et comment ne pas être troublé, voire tenté, devant un coffre de voiture d’un voyou rempli à ras-bord de billets de banque ? En fait, les flics ne se posent pas ces questions, ils ont une mission et ils s’y tiennent. Ils avancent.

Les soldats placent l’intérêt du pays avant leur intérêt personnel. Certains d’entre eux souffrent encore au retour, et pendant des années, de stress post-traumatique. Ils n’étaient pourtant ni inconscients, ni fanatiques. D’ailleurs, quel militaire part en OPEX pour mourir ? Aucun. Le risque chimique était présent sur les théâtres d’opérations en Irak ou en Syrie. Nos troupes y luttaient contre le djihadisme et le salafisme en ayant conscience du risque encouru. La théorie du courage renvoie à la conscience morale, elle est l’alchimie de l’incomplétude (16). «Ce qui fait la grandeur de l’homme, c’est d’être incomplet ; c’est de se sentir par une foule de points hors du fini ; c’est percevoir quelque chose au-delà de soi, quelque chose en deçà» (18).

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Avoir des valeurs, morales ou éthiques, est une condition nécessaire à l’engagement mais non suffisante. Elles constituent un prérequis. Le supplément est la différence qui sépare un citoyen ordinaire d’un modèle. Ce dernier n’est qu’un homme qui répare les actions d’autres hommes. Maurice Druon écrivait dans Les rois maudits : «Les tragédies de l’Histoire révèlent les grands hommes, mais ce sont les médiocres qui provoquent les tragédies». Pendant la Deuxième Guerre mondiale, des compatriotes ont eu des destins hors-pair. Ils ont combattu les puissances occupantes en mettant en péril leur vie, mais aussi celle de leur famille. Pourquoi se sont-ils distingués ? Pourquoi eux et pas d’autres ?

Il est difficile de répondre à ces questions. Des situations exceptionnelles, et non programmées, ont fait émerger des individus au destin extraordinaire. Ils vivent aussi des situations exceptionnelles, dans le sens où elles sont dégradées. Pourtant, elles sont ordinaires, même si elles ne sont pas routinières.

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Dans la vie quotidienne, le vrai nom de Superman est Clark Kent, c’est un homme normal. Il est journaliste au Daily Planet, il porte des grosses lunettes noires et s’habille sans fantaisie. Sa double identité lui permet de combattre le crime et l’injustice sans pénaliser ses proches. Nos hommes en bleu, en blanc, en rouge et en kaki ne sont pas des héros. Ce sont des modèles, de simples concitoyens. Mais ils ont, comme les super-héros de Marvel, la possibilité (et la volonté) de se transcender à des moments cruciaux. Notre société est de plus en plus individualiste. Elle a cloué au pilori les comportements altruistes, l’ouverture aux autres. Pourtant, les héros n’ont pas disparu au contraire, les réseaux sociaux ont amplifié leur glorification.

Les modèles n’échappent à cette tendance, même si elle est plus faible. Comme si le besoin d’aider les autres n’avait pas déserté la nature humaine des occidentaux : un penchant pour le bon, un reste de morale rousseauiste. Mais, ne soyons pas naïfs, c’est aussi un processus de déculpabilisation. Nous sommes autocentrés, mais nous avons conscience de nos manquements. Nous faisons ainsi un transfert vers une représentation modélisée du héros, ou héroïsée du modèle.

1. Jean-François Mattéi. Le mythe d’autochtonie chez Hésiode et Platon. Topique, 2011, 1 (114), 35-49.
2. Marc Tourret. Qu’est-ce qu’un héros ? Inflexions 2011, 1 (16), 95-103.
3. Simone Weil.  La source grecque Gallimard, 1953
4. Michel Winock. Jeanne d’Arc est-elle d’extrême droite ? . L’Histoire, mai 1997, n°210
5. Roy Chansler. Johnny Guitare. Éditions 10/18, 1988.
6. Wikipédia. Heroin.
7. Pierina Pighi Bel. L’histoire fascinante de l’utilisation de l’héroïne comme remède contre la toux (et de son interdiction ultérieure). BBC News Mundo, 6 novembre 2021.
8. Denis Richard, Jean-Louis Senon, Marc Valleur. Dictionnaire des drogues et des dépendances, Larousse, 2004
9. L’héroïsme. Site magister internet.
10. Caroline Guibert Faye. Leçons d’esthétique HEGEL. Collections ellipses.
11. Violette Morin, « Héros et idoles ». Encyclopaedia Universalis, t. XI, 1996.
12. Tom Wolfe. L’Étoffe des héros. Éditions Gallimard.
13. André Malraux. L’espoir. Éditions Gallimard.
14. La fabrique des héros. Sous la direction de Pierre Centlivres, Daniel Fabre, Françoise Zonabend. Éditions de la Maison des sciences de l’homme. Paris
15. Boris Cyrulnik, auteur de Ivres paradis, bonheurs héroïques. Editions Odile Jacob, 2016.
16. Cynthia Fleury. La fin du courage. Éditions Livre de poche.
17. Didier Rolland. Le sapeur-pompier, courageux, téméraire ou opportuniste ? Armée de terre « Inflexions » 2013. 1 (22), 111-118.
18. Victor Hugo. Œuvres complètes. Collection La Pléiade.

 

B. Massoubre, C. Massoubre, F. Giraud, C. Boulliat

Biologiste médical, Bernard Massoubre est pharmacien lieutenant-colonel dans la réserve opérationnelle du Service de santé des armées (SSA) et responsable de l’espace de réflexion éthique de l’hôpital d’instruction des armées Desgenettes (Lyon). Professeur agrégé de médecine, Catherine Massoubre est cheffe du pôle de psychiatrie du CHU de Saint-Etienne. François Giraud est ancien médecin urgentiste du CHU de Saint-Etienne et directeur du SAMU. Professeur agrégé du Val-de-Grâce, Caroline Boulliat est pharmacien colonel du Service de santé des Armées et cheffe de service de la pharmacie de l’hôpital d’instruction des armées Desgenettes (Lyon).

 

 

Commentaires

J’avoue que ce texte ne m’inspire pas des tonnes…moi, qui aime rêver de demi-dieux, de Siegfried, et non pas de Superman, qui ne me fait pas rêver du tout. (Et j’ai besoin de rêver… je ne dirais pas que c’est un besoin de « modèles », mais un besoin de rêver d’UN AILLEURS.)
En lisant le texte, je suis frappée par l’énorme difficulté que pose… le genre, au sens plus ou moins stricte de ce mot, en français, en sachant qu’on dit « LE héros », et que le fait de dire « LE héros » renvoie au masculin, et au delà du genre masculin, a ce « homo » latin qui veut dire « homme » dans le sens de l’espèce « Homme » qui INCLUT hommes et femmes. Le « homo » latin se distingue de son HOMOnyme grec, qui veut dire « le même ». C’est un fait capital pour comprendre l’état de notre monde en ce moment. La confusion de ces deux « homo » dans nos têtes nous joue des tours pendables. Nous tendons à ne voir dans « le » héros QUE l’homme, au sens du « uir » qui nous a donné la virilité.
Pour le héros… au féminin, il me semble que l’auteur de ce texte escamote un monde où le héros, en étant attaché à son honneur, défendait cet honneur sur un champ, un terrain qui n’était pas le terrain des femmes pour défendre LEUR honneur. Il y avait, pour nos ancêtres, un honneur au masculin, et un honneur au féminin. Dans cette optique, on pouvait voir les héros ? héroïnes ? comme Lucrèce SE SACRIFIER afin de défendre leur honneur, au féminin. Elles résistaient au viol en préférant la mort au déshonneur, ou elles pouvaient se sacrifier, POUR leur honneur, individuel, et collectif au sein de la famille. Leur honneur était synonyme de leur chasteté, du fait de se garder pour un seul homme. Leur chasteté était le garanti de la pureté de leur lignée, ce qui était une valeur très importante pour l’Antiquité. Faut-il du courage pour cela ? Il me semble que oui. Avaient-elles… « raison » de choisir leur honneur au dessus de leur vie ?
La religion juive, comme la religion chrétienne, reprouve fortement le suicide, qui est vu comme une atteinte au pouvoir de Dieu de mettre fin à la vie. Le suicide est une conduite… volontaire qui entre en conflit avec la volonté de Dieu.
Autant « LE héros » renvoie à un phénomène… masculin, autant « LA victime » renvoie à un phénomène féminin, en sachant que dans nos têtes ? les têtes de nos ancêtres ? ce qui était… ACTif était associé au masculin (voir « actOR » avec un « OR » qui est au masculin). Ce qui était PASSif était associé au féminin. Si on regarde cette opposition/antagonisme binaire, il tend à réduire les rapports entre hommes et femmes à un rapport « duel ».
Ici, on associe facilement pour trouver le mot… « duel »… qui donne un combat jusqu’à la mort. Ce n’est pas… paisible, mettons. Cela n’apaise ni nos métropoles, ni nos quotidiens.
Enfin, il me semble…. inconscient de prétendre évacuer le problème du sacrifice comme étant le lieu où la collectivité (et l’individu) détermine… le prix de la vie humaine, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme. Pour QUOI, pour QUI est-on prêt à donner sa vie ? N’est-ce pas la manière de déterminer ? de DEFINIR ? le prix, la valeur d’une vie humaine ? Evacuer ce problème me semble relever des bons sentiments… pas réalistes pour deux sous. Evacuer ce problème relève de nier la mort elle-même, comme prix à payer… pour la vie…digne ? Qui plus est, en remontant vers la nuit des temps, le sacrifice… de soi est un ciment essentiel pour fabriquer la communauté, et la rassembler. Il n’y a qu’à regarder tout le poids que pèse le sacrifice volontaire de Jésus pour rassembler les fidèles afin de faire le corps du Christ pour mesurer l’enjeu…qui n’a pas disparu.
Peut-on trouver son… intérêt ? dans le sacrifice ? Un scandale à penser pour une époque qui ne jure que par un clivage absolu entre l’intérêt et la grâce…
Au Musée de la Révolution Française à Vizille, on peut apercevoir comment l’invention de la guillotine pour soulager les souffrances des condamnés à mort (à l’origine, réservée à la noblesse), avec les meilleures intentions, a enclenché une machinerie de la mort, et du… sacrifice.
Hommes et femmes, d’ailleurs…
Edifiant.
La République repose-t-elle sur ces sacrifices ? Il ne faut pas les minimiser…

par Debra - le 1 mai, 2022


Merci beaucoup chers soignants philosophes pour ce très beau texte qui « déshéroïse » les héros et les rend en même temps encore plus héroïques en les humanisant, si je puis dire. Et puis on sent que c’est incarné. Et en lisant vos biographies, on comprend mieux pourquoi !

par Mme Michu - le 1 mai, 2022



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